Inciter les citoyens arabes à servir Tsahal, le casse-tête d’Israël
Comment intégrer la communauté arabe dans les institutions civiles et militaires de l’État juif, malgré les réticences de la classe politique arabe israélienne, sans avoir l’air de passer en force ? Tel est le casse-tête du Premier ministre Benjamin Netanyahou.
Le 5 août 2013, le chef du gouvernement israélien, Benjamin Netanhayou, a rencontré le père Gabriel Nadaf. Anecdotique ? Pas vraiment. Ce prêtre grec-orthodoxe de Nazareth est l’un des rares religieux chrétiens de Palestine à se positionner en faveur du recrutement de ses coreligionnaires arabes par Tsahal, l’armée israélienne. L’État d’Israël "mérite que nous jouions notre rôle en le défendant", affirme-t-il, cité par le ministère des Affaires étrangères.
Des positions qui, selon la presse israélienne, lui vaudrait des menaces de la part de responsables politiques arabes israéliens. De son côté, Benjamin Netanyahou a renchéri en affirmant que "les jeunes chrétiens doivent avoir la permission de rejoindre Tsahal", tout en martelant : "nous ne tolérerons pas que l’on vous adresse des menaces et nous allons faire en sorte que l’on applique sévèrement la loi contre ceux qui vous persécutent". Le Premier ministre israélien en a profité pour annoncer la création prochaine d’un forum pour la promotion de l’enrôlement au sein de l’armée et la participation de la communauté arabe chrétienne à "la vie de l’État".
Communiquer pour recruter
Depuis de nombreuses années, l’intégration des arabes, chrétiens ou musulmans, dans l’armée israélienne est un vrai cheval de bataille pour les autorités israéliennes. À l’été 2012, le gouvernement évoquait notamment un projet de conscription universelle, alors que la loi dite Tal, qui exemptait automatiquement tout jeune Juif ultraorthodoxe, prenait fin le 1er août 2012.
Débats houleux à la Knesset, protestation de l’opposition, manifestations… Un an plus tard, les Arabes, qui représentent environ 20% de la population, bénéficient toujours d’un statut exceptionnel et seuls quelques volontaires rejoignent les rangs de Tsahal pour leur service militaire.
Côté chrétien, 35 jeunes se seraient engagés en 2012, contre une centaine en 2013. Au total, environ 500 d’entre eux effectueraient actuellement leur service militaire, selon le ministère des Affaires étrangères israélien. Et le chiffre n’est pas plus satisfaisant chez les musulmans, à en croire la communication de Tsahal sur le sujet. "Pourquoi les Juifs, les Druzes, les Bédouins le font et nous pas ? […] Je voulais m’engager pour défendre mon village, mon pays", peut-on ainsi lire sur le site internet de l’armée, dans le témoignage de Milad Atrash, qui a choisi de s’enrôler aux côtés de son frère Mohammed. Pour Tsahal, c’est une recrue parfaite. Jeune, motivé, ambitieux, arabe et musulman, il est devenu un symbole à lui seul, l’exception au milieu des 30 000 Arabes atteignant leur majorité chaque année. "Je n’ai plus d’amis au village depuis que j’ai rejoint l’armée" constate-t-il, "mais ce n’est pas grave, je n’ai pas besoin d’eux".
Considérés comme des "traitres"
Faute d’attirer de nombreuses recrues dans l’armée, le gouvernement s’est tourné vers une initiative alternative, une sorte de service civil, mis en place sur la base de propositions faites en 2005 au ministère de la Défense. Celle-ci, dite Minhélet en hébreu, propose depuis 2007 aux jeunes Arabes de consacrer, en lieu et place du service militaire, un maximum de deux années comme volontaire, à raison de 30 à 40 heures par semaine, dans des services tels que des hôpitaux, des écoles ou des associations d’aide. En échange, les participants, qui étaient 2 400 en 2012 (soit moins de 10% des nouveaux majeurs de la communauté arabe), reçoivent le même salaire de base que les soldats non-combattants de Tsahal, qui promeut cette possibilité comme une "entrée en douceur" dans le monde du travail.
Mais, si ce service est dit "civil", il n’en a pas moins heurté les milieux religieux comme les députés arabes israéliens. Ceux-ci n’ont parfois pas hésité à qualifier les volontaires de "traîtres", même si, selon la direction du service civil et social, 76% d’entre eux travaillent au sein de leur propre communauté. "Donnez-nous les mêmes droits et nous accepterons de remplir les mêmes devoirs", déclarait ainsi Ahmed Tibi, ancien conseiller du défunt président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, lors des débats enflammés de l’été 2012, "de là à nous enrôler dans l’armée sioniste, il n’y a qu’un pas et nous préférons nous éloigner de cette menace".
Les efforts de communication de la Knesset – qui, avec la Cour suprême, espère rendre le service civil obligatoire en 2016, suffiront-ils à ériger les recrues Milad ou Ala Wahib, mis en lumière comme "le musulman le plus haut gradé de l’armée", en modèles d’intégration ? Le pari est loin d’être gagné. Pour de nombreux jeunes arabes israéliens, marqués par l’identité palestinienne et les derniers bombardements du Gaza, servir l’État juif est, aujourd’hui, tout simplement impensable.
Par Mathieu OLIVIER
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>> Lire aussi : Israël : et si les réseaux sociaux se retournaient contre Tsahal
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