Jacques Vergès, défenseur des indéfendables, est mort

L’avocat Jacques Vergès s’est éteint, jeudi 15 août à Paris, après un arrêt cardiaque, à l’âge de 88 ans. « Chevalier » de la défense, « courageux » et « indépendant », « géant » mais parfois engagé « du mauvais côté », la profession salue celui qui a été l’un des avocats les plus controversés et redoutés du barreau de Paris.

Jacques Vergès fut, en 2011, l’un des avocats français de Laurent Gbagbo. © AFP

Jacques Vergès fut, en 2011, l’un des avocats français de Laurent Gbagbo. © AFP

Publié le 16 août 2013 Lecture : 4 minutes.

Jacques Vergès, l’un des avocats les plus controversés de sa génération, est décédé le 15 août à Paris, après un arrêt cardiaque. "Me Jacques Vergès est mort d’un arrêt cardiaque vers 20H00 dans la chambre de Voltaire, précisément quai Voltaire à Paris, alors qu’il s’apprêtait à dîner avec ses proches. Un lieu idéal pour le dernier coup de théâtre que devait être la mort de cet acteur-né", car "à l’instar de Voltaire, il cultivait l’art de la révolte et de la volte-face permanentes", selon un communiqué des éditions Pierre-Guillaume de Roux, qui avaient publié ses mémoires en février (De mon propre aveu-Souvenir et rêveries).

"Il avait fait une chute il y a quelques mois, et du coup il était très amaigri, marchait très lentement. Il avait des difficultés à parler mais intellectuellement il était intact. On savait que c’était ses derniers jours mais on ne pensait pas que ça viendrait aussi vite", a raconté le président du Conseil national des barreaux, Christian Charrière-Bournazel, qui avait dîné avec lui il y a une dizaine de jours.

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Impliqué en Afrique

Né en 1925 en Thaïlande d’un père français et d’une mère vietnamienne, le pénaliste a grandi sur l’ile de la Réunion. En 1941, il s’engage dans les Forces françaises libres. Il combat en Algérie, au Maroc, en Italie et en France. Il sera encarté au Parti communiste avant de le quitter en 1957, jugeant le parti « trop tiède » sur la guerre d’Algérie. Il devient alors un militant anticolonialiste. C’est à cette époque qu’il se converti à l’islam et épouse l’héroïne de l’indépendance algérienne et poseuse de bombes du FLN, Djamila Bouhired.

Il ne cessera d’ailleurs, tout au long de sa carrière, de s’impliquer sur le continent. Il sera notamment très présent en Côte d’Ivoire, où, en 1999, il défend le futur président ivoirien, Alassane Ouattara, au moment de la querelle sur sa nationalité ivoirienne. En 2002, il y est au côté des familles des victimes du massacre de Duékoué, et, en 2010, après la crise postélectorale, il soutient, avec Roland Dumas, le président ivoirien Laurent Gbagbo dont il est l’avocat.

En mai 2011, toujours accompagné de Laurent Dumas, il fait cette fois-ci le déplacement à Tripoli, en Libye, pour soutenir une plainte déposée par des victimes de bombardements de l’Otan contre l’ancien président français, Nicolas Sarkozy. Opposé à l’intervention militaire occidentale, qu’il qualifie d’ "agression brutale contre un pays souverain", il se dit prêt alors à défendre le colonel Kadhafi s’il devait être jugé par la CPI.

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Défendre les condamnés par l’Histoire

La vie de Jacques Vergès n’aura cesser d’alimenter tous les fantasmes. En 1970, il a disparaît pendant huit ans. Était-il au côté de Palestiniens ? Dans le Congo post-Lumumba ? Au Cambodge de Pol Pot ? Il ne donnera jamais de véritable réponse à ces questions. Après cette parenthèse, de retour sur le devant de la scène, il s’impose définitivement comme le défenseur des indéfendables, des hommes condamnés par l’Histoire au motif, que, selon lui, « les poseurs de bombes sont des poseurs de questions ».

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Personnage médiatique, amateur de cigares Robusto, Jacques Vergès était proches de personnalités politiques du monde entier mais aussi de militants œuvrant dans l’ombre, comme les membres de l’internationale terroriste des années 1970 et 1980, le "révolutionnaire" vénézuélien Carlos, l’activiste libanais Georges Ibrahim Abdallah, le criminel de guerre nazi Klaus Barbie, le dictateur yougoslave Slobodan Milosevic ou l’ancien dirigeant Khmer rouge Kieu Samphan.

C’est défendre Bush qui est une cause perdue

Le pénaliste était aussi connu pour ses saillies. On se souvient encore de son interview accordée au journal France soir où à la question « comment peut-on être l’avocat de Saddam Hussein? », il avait répondu: "Défendre Saddam n’est pas une cause perdue. C’est défendre (le président américain George W.) Bush qui est une cause perdue".

Isabelle Coutant-Peyre, l’avocate (et épouse) de Carlos, a débuté sa carrière en 1981 à son côté. "Cela a été une chance incroyable", a-t-elle déclaré à l’AFP, "il avait une vision politique exemplaire du métier d’avocat et une expérience unique dans les grandes luttes du XXe siècle."

"Les grands arbres qui bordaient les allées de notre profession tombent. (…) Quand il défendait Klaus Barbie, j’étais du côté des parties civiles. J’étais du bon côté, il était du mauvais, mais c’est ce qui fait la démocratie", a réagi le député français du  Front National, Gilbert Collard.

"Il n’y a pas beaucoup de géants au barreau, mais lui incontestablement en était un", avec "une période glorieuse quand il défendait le FLN algérien et une moins glorieuse quand il a commencé à défendre des mouvances terroristes comme la bande à Bader", a jugé l’avocat Georges Kiejman.

Me Charrière-Bournazel a salué "un très brillant avocat", "courageux" et "indépendant". "Un avocat, ce n’est pas un mercenaire, c’est un chevalier, et Jacques Vergès était un chevalier", a-t-il résumé.

(Avec AFP)

 

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