Pour Mohamed Morsi, jusqu’à la mort
Dans le quartier de Madinet Nasr au Caire, des milliers de manifestants islamistes campent depuis un mois pour réclamer le retour au pouvoir de Mohamed Morsi, le président égyptien déchu. Le 8 août, ils y célébraient l’Aïd el-Fitr, la fête de la fin du ramadan, défiant une nouvelle fois, peut-être au péril de leur vie, l’appel du gouvernement intérimaire à se disperser au plus vite. Reportage dans le camp des adversaires du « coup d’État ».
Déployée à l’entrée du camp, au-dessus des murs de sacs de sable qui restreignent l’accès des visiteurs, une immense banderole de plusieurs mètres de long donne le ton : "Ensemble, soutenons la légitimité et le président Mohamed Morsi", proclame-t-elle à côté de la photo du président égyptien destitué le 3 juillet dernier par l’armée. Derrière elle, s’étend l’un des camps érigés par ses supporters. Si aucune présence sécuritaire n’est visible à cette entrée, d’autres sont encadrées par des soldats, qui n’empêchent pas pour autant le camp de s’étendre.
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Ce qui n’était à l’origine qu’un sit-in est devenu en l’espace d’un mois, une véritable ville dans la ville. Encerclant la mosquée Rabia Al Adawiya, connue pour ses liens avec les Frères muslmans, dans le quartier de Madinet Nasr, au Caire, il s’étale sur plusieurs rues adjacentes, dont l’immense rue El Nasr qui relie le nord au centre de la ville. Long de plusieurs centaines de mètres, le rassemblement des pro-Morsi a désormais des allures de camp de réfugiés, avec ses alignements de tentes sous lesquelles s’entassent des milliers de personnes. Un camp qui se serait doté de toutes les commodités : outre des magasins ambulants, il compte aussi plusieurs hôpitaux de campagne, une "tente culturelle" et un théâtre de marionnettes pour enfants.
"C’est Sissi qui mourra, nous on ne partira pas"
Un groupe de femmes remonte du carrefour principal. Elles portent des assiettes de kahk elaid, ce sablé recouvert de sucre glace que l’on mange pendant la fête de fin de Ramadan, et scandent des slogans contre le ministre de la Défense, l’homme fort du régime actuel : "Sissi, nous ne t’approuverons pas !" À sa tête, Entijan, la meneuse, une jeune femme portant le niqab sur lequel elle a épinglé une feuille indiquant "pacifiste". Elle explique qu’elles défilent avec des gâteaux "parce qu’ils sont faits de notre main, la main du peuple uni." "C’est Sissi qui mourra, nous on ne partira pas", prévient-t-elle avant de poursuivre sa route.
Non loin de là, des groupes d’hommes et de femmes sont assis au pied d’un immense podium qui accueille des leaders islamistes ou des prédicateurs venus chauffer les foules. Pour l’instant, la scène est vide. Le public attend un prédicateur annoncé pour 17 heures, peu après. Parmi eux, Oum Amr, 40 ans, une vendeuse de vêtements venue d’Alexandrie il y a une vingtaine de jours pour vivre ici, avec les protestataires. "Je suis venue parce que je ne veux pas que l’Égypte redevienne un État militaire, affirme-t-elle, une casquette visée sur son long voile. Pour la première fois dans toute l’histoire de l’Égypte, nous avions un président élu, Mohamed Morsi. Je veux qu’il revienne et ne partirai pas tant que ce ne sera pas fait."
Je n’ai pas peur de la mort, ni pour moi ni pour mes enfants
Bien qu’elle ait pris part à toutes les élections depuis 2011, Oum Amr n’est pas une habituée de la politique. "Tu sais, tout le monde dit qu’il n’y a que des Frères musulmans ici. Ce n’est pas vrai, tonne-t-elle. Moi, je n’ai aucun lien avec eux. J’ai décidé de venir après avoir vu à la télévision le massacre de manifestants commis devant la Garde républicaine le 8 juillet. J’étais choquée !" À côté d’elle, Fatma, 32 ans, est en revanche membre de la Confrérie "depuis (son) mariage". Cette directrice de crèche portant le niqab est arrivée il y a une semaine d’Assiout, dans le sud de l’Égypte, avec son mari, qui tient une librairie de livres religieux, et ses quatre enfants. Elle a pris des vacances pour venir ; quant à son mari, ses employés continuent à tenir la boutique. "Je n’ai pas peur de la mort, ni pour moi ni pour mes enfants, assure-t-elle. Je pense que c’est bien pour eux d’être ici. Ils apprennent à connaître leurs droits et à savoir comment se comporter dans la vie."
Le sang des martyrs
Dans cette région du monde où mourir en martyr est plus valorisé que de rester en vie, Fatma affirme que si elle meurt ici, elle sera heureuse. Et se souvient de cette petite fille qui a voulu aller sentir le sang des martyrs après l’attaque de la police dans le camp, le 27 juillet dernier. "Parce qu’on dit que leur sang a une belle odeur. Il sent le musc."
Assis sous une tente à l’extrémité du camp, Ibrahim, 49 ans, professeur de sports en Arabie saoudite, lance lui aussi qu’il préférerait "mourir plutôt que de renoncer à sa liberté." En congé, cet homme qui se définit comme "frère musulman depuis l’enfance" est venu à Rabea dès l’annonce des manifestations de masse contre Mohamed Morsi, avant même sa destitution. "Mais maintenant, ce n’est pas pour Morsi que je reste. Frère ou non, avec Morsi ou sans lui, le plus important aujourd’hui, c’est de défendre des principes. Je veux vivre libre."
Dehors, une dernière manifestation se forme, aux cris de "l’armée égyptienne, c’est notre armée". Mais bientôt, la nuit va tomber. La rupture du jeûne s’annonce, et déjà, des passants se pressent. Ils portent des piles de repas en portions, payés par les nombreux donateurs privés qui, de longue date, financent la Confrérie. Le calme revient, une journée s’achève. Une journée qui aurait pu être ordinaire, si ce n’était les menaces de répression qui pèsent contre le camp.
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