Tunisie : la mosaïque jihadiste du mont Chaambi
Le groupe terroriste du mont Chaambi, responsable de nombreuses attaques sanglantes contre l’armée tunisienne, est composé de plusieurs islamistes radicaux issus d’horizons différents. Algériens proches d’Aqmi, Tunisiens rentrés du Mali ou de Syrie, Libyens du GICL : décryptage de la mosaïque jihadiste du Chaambi.
Avec ses 260 grottes, la réserve du mont Chaambi, coincée entre Kasserine et la frontière avec l’Algérie, est une cachette naturelle bien connue des islamistes radicaux tunisiens. En avril 2006, les leaders du groupe de Soliman s’y établirent pendant quelques semaines avant leurs accrochages sanglants contre les forces de sécurité tunisiennes, au sud-est de Tunis, en décembre de la même année.
Un peu plus de six ans plus tard, le Chaambi est devenu un véritable maquis jihadiste au cœur de la Tunisie post Ben-Ali. Profitant du flottement sécuritaire de l’après-révolution, plusieurs éléments terroristes se sont progressivement implantés dans cette zone montagneuse boisée. Leur existence est dévoilée en décembre 2012, lorsqu’un jeune adjudant de la Garde nationale est tué au cours d’une patrouille de terrain. À l’époque, les autorités tunisiennes évoquent un groupe terroriste baptisé « Les Milices d’Okba Ibn Nafaa », lié au réseau d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
Malgré l’arrestation de certains de ses membres et de multiples opérations de ratissage, la cellule du Chaambi est loin d’être démantelée. Elle continue même à se renforcer, s’entraînant au maniement des armes et des explosifs tout en sanctuarisant son territoire. Fin avril, la vaste traque de l’armée tunisienne sera stoppée (et endeuillée) par les dizaines de mines antipersonel posées par les jihadistes. Le 29 juillet, la Tunisie bascule un peu plus dans l’horreur terroriste. Ce jour-là, huit soldats d’élite sont retrouvés morts sur une route du massif, sauvagement tués et mutilés par des islamistes radicaux. « Cet acte est important car il souligne un changement de tactique de nos adversaires, analyse une source militaire tunisienne. Jusqu’à présent, ils étaient davantage sur la défensive. Dorénavant, ils sont clairement dans une logique offensive. »
Influences algériennes
Selon des sources sécuritaires algériennes citées par Mosaïque FM, cette attaque aurait été perpétrée par des membres du groupe de Kamel Ben Arbia. Cet Algérien proche d’Aqmi, plus connu sous le nom d’Abou Fida, avait été arrêté la semaine précédente par les forces algériennes dans la wilaya d’El Oued (zone frontalière, côté Algérie). Ses hommes sont en liaison directe avec les autres jihadistes du Chaambi, auxquels ils fourniraient notamment des composantes de bombes artisanales. S’ils séjournent régulièrement dans la zone, aucune source officielle n’a confirmé leur implication dans l’embuscade sanglante tendue aux huit militaires.
Entre 30 et 50 individus seraient toujours disséminés dans le nouveau maquis tunisien. Bien organisés, ils se déplacent discrètement de cachette en cachette, descendent vers les villes avoisinantes ou gagnent l’Algérie via des sentiers escarpés également empruntés par les contrebandiers. Leur profil est plus ou moins bien connu. Les formateurs et leaders du groupe seraient trois Algériens, proches d’Abdelmalek Droukdel, l’émir d’Aqmi réfugié en Kabylie. Selon certaines sources, l’un d’entre eux serait un dénommé Abou Abderrahmen. Ces terroristes expérimentés ont notamment apporté leurs connaissances en matière d’engins explosifs improvisés (IED), marque de fabrique des maquisards algériens.
Bien que le mouvement salafiste jihadiste tunisien Ansar al-Charia réfute formellement tout lien avec les combattants du Chaambi, les autorités tunisiennes sont convaincues que certains de ses fidèles sont présents dans la zone. Abou Iyadh, le chef de l’organisation, en fuite depuis l’attaque de l’ambassade américaine en septembre 2012 à Tunis, était d’ailleurs sur place en avril dernier, quelques jours avant le début de l’offensive de l’armée. D’après un analyste tunisien, des anciens du groupe de Soliman, évanouis dans la nature après avoir bénéficié de l’amnistie générale de 2011, pourraient aussi faire partie des « chaambistes ». Le 4 août, à Ben Guerdane, près de la frontière avec la Libye, l’un d’entre eux a été arrêté avec un complice dans une voiture chargée d’armes et de munitions.
Anciens combattants d’Abou Zeïd
D’autres membres de la cellule du Chaambi sont des moujahidines tunisiens rentrés de la « guerre sainte » à l’étranger. Certains sont d’anciens de Syrie, bien décidés à poursuivre le jihad sur leur terre natale. Il y a aussi plusieurs « vétérans » du Nord-Mali. D’après Mathieu Guidère, spécialiste des mouvements terroristes interrogé par Le Nouvel Observateur, une trentaine d’Algériens et de Tunisiens, issus de la katiba « Tarik Ibn Ziad » du défunt Abou Zeïd, ont gagné la frontière tuniso-algérienne après la bataille des Ifoghas.
Preuve que le nouveau maquis tunisien attire des jihadistes de toute la région, des Libyens sont également présents au Chaambi. Selon une source diplomatique tunisienne proche des milieux sécuritaires algériens, des hommes du Groupe islamique des combattants libyens (GICL) font également partie de la troupe. Leur chef, Abdelhakim Belhadj, un ex-moudjahid d’Afghanistan, aurait même été récemment aperçu dans un hôtel de Djerba.
Après des mois de ratissage inefficace, les forces de sécurité tunisiennes, acculées par l’assassinat des huit soldats d’élite fin juillet, sont massivement passées à l’offensive sur les pentes du Chaambi dans la nuit du 1er août. Menée conjointement par l’armée, les forces spéciales, la garde nationale et la brigade anti-terroriste (BAT), l’opération en cours est sans précédent. En tout, près de 5000 hommes sont mobilisés, soutenus par des blindés légers et des forces aériennes.
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Benjamin Roger
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