Union africaine : une force d’intervention rapide « courte sur pattes »

Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis.

L’Afrique du Sud possède 7 C-130BZ Hercules, âgés de plus 50 ans. © DR

L’Afrique du Sud possède 7 C-130BZ Hercules, âgés de plus 50 ans. © DR

Publié le 5 août 2013 Lecture : 4 minutes.

Conséquence des événements récents au Mali, mais aussi de ceux en Côte d’Ivoire et en Libye, les chefs d’État de l’Union africaine (UA), réunis à Addis Abeba fin mai 2013, décident de mettre sur pied une force d’intervention rapide, prête sans délai grâce aux moyens militaires de l’Ethiopie, de l’Afrique du Sud et de l’Ouganda. Politiquement, elle permettra en théorie de s’affranchir d’immixtions occidentales lors de crises sur le continent. Dans les grandes lignes, un réservoir de 5 000 hommes constituera la base de groupements tactiques de 1 500 hommes, susceptibles d’être expédiés vite et loin avec une autonomie logistique de 30 jours. Toutefois, ces ambitions se heurtent à (au moins) une implacable réalité : la faiblesse des moyens de transport aérien militaire africains.

Le cas de l’Afrique du Sud

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Pilier de cette force de réaction rapide, l’Afrique du Sud dispose d’une armée dont l’efficacité est grevée par des budgets en décalage constant avec des contraintes opérationnelles (auxquelles s’ajoute désormais l’intégration de troupes au sein de la brigade d’intervention en République démocratique du Congo). Coupes budgétaires qui conduisent à l’annulation d’une commande de 8 A400M en 2009 (avec une option sur 6 appareils supplémentaires ; la livraison était prévue à partir de 2016). De fait, aujourd’hui, le pays n’aligne que 7 C-130BZ Hercules, âgés de plus d’une cinquantaine d’années, dont le maintien en service est toutefois prévu jusqu’en 2025. Il faut un successeur aux vieux Hercules. Boeing ne l’ignore pas et cherche à placer ses C17 Globemaster III (également en Algérie) dont le coût est pourtant encore plus exorbitant que celui des A400M (225 millions de dollars, soit quasiment le double de l’A400M). Depuis l’été 2012, Pretoria réfléchit aussi à l’achat de C295M d’EADS.

Obstacles, efforts et pertinence

Autre pilier de cette force d’intervention rapide, l’Ethiopie est encore moins bien lotie, avec seulement 5 An-12, 1 An-26, 1 An-32, 1 C-130B. Anciens, usés, ils n’apportent donc pas grand- chose à l’inventaire sud-africain. Quant à l’Ouganda, c’est bien simple : Kampala ne possède aucun avion militaire de transport ! D’autres États membres de l’organisation panafricaine accomplissent bien de notables efforts dans les domaines du transport tactique ou intermédiaire, à l’instar du Cameroun, qui a récemment acquis des CN235 (eux aussi, fabriqués par EADS), ou encore du Nigeria avec un Boeing destiné au déploiement de troupes en particulier dans le cadre de mission de maintien de la paix. L’Algérie, qui a conscience de la valeur d’une flotte de transport stratégique possède des Il-76 Candid, qui ont d’ailleurs participé au renforcement des troupes de l’Amisom en Somalie. Elle comprend aussi de nombreux appareils à capacité intermédiaire et tactique, mis à contribution pour le déploiement d’unités spéciales lors de la prise d’otages d’In Amenas.

Le Mali, incapable de ravitailler correctement par air ses garnisons du Nord lors de la crise du début 2012 en a payé le prix fort.

Mais en dépit de cette bonne volonté, les avions-cargos susceptibles d’« airlifter » des charges lourdes comme des hélicoptères des blindés ou des approvisionnements et du carburant, sur de longues distances, sont rares. Par ailleurs, les pilotes qualifiés manquent, les appareils sont souvent dans un état de fonctionnement incertain. En outre, beaucoup de dirigeants préfèrent acquérir des chasseurs-bombardiers ou des avions d’attaque, voire des hélicoptères de combat, plus « prestigieux » que des avions-cargos… Le Mali, incapable de ravitailler correctement par air ses garnisons du Nord lors de la crise du début 2012 en a payé le prix fort. Enfin, pour des questions de souveraineté et de méfiance, ces mêmes dirigeants sont réticents à mettre leurs avions à la disposition de leurs voisins, ainsi qu’à donner des informations sur l’état réel de leur inventaire. Ces données permettraient pourtant de mieux organiser et coordonner des déploiements.

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Le transport aérien stratégique, un investissement essentiel

Sur un continent où les infrastructures sont mal réparties (sur l’ensemble du kilométrage de voies ferrées, 30 % est en Afrique du Sud) ou font défaut (60 jours nécessaires pour transférer, par voie terrestre, des équipements de Mombasa au Kenya jusqu’à Kampala en Ouganda – 1 170 kilomètres), le transport aérien stratégique (a minima, intermédiaire), avec des avions aptes à utiliser des pistes de fortune ou des installations limitées, est essentiel pour garantir un bon « rayon opérationnel » à la force d’intervention rapide de l’UA.

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Traduction, dans l’esprit, de ce que les Américains appellent l’ « operational reach », ce « rayon opérationnel » est défini comme étant la distance (et la durée) à (pendant) laquelle une force peut être concentrée et employée décisivement. Il est admis qu’un groupement tactique européen de 1 500 hommes avec des éléments d’appui et de soutien, bénéficiant de 30 jours d’autonomie sur le terrain, nécessite un minimum de 80 missions avec des avions ayant une capacité-type de C-130. Au regard des possibilités d’« airliftage » stratégique/intermédiaire de l’UA, il apparaît clairement que le rayon opérationnel de la force d’intervention rapide africaine est des plus modestes, que celle-ci est, trivialement parlant, « courte sur pattes ».

Sauf détermination commune visant à une mutualisation des moyens aériens disponibles ou à l’affrètement/l’acquisition d’appareils de transport au nom de l’UA (à l’image de ce que fait l’Otan avec des C17 mutualisés et des An-24 affrétés), cette force d’intervention rapide pourrait donc  difficilement être déployée à court terme, dans des conditions satisfaisantes. À moins d’avoir recours, comme par le passé (Soudan, Somalie et plus récemment, Mali), aux États-Unis, à l’Europe et à l’Otan…

>> Retrouver tous les articles du blog défense de Laurent Touchard sur J.A.

>> Pour en savoir plus : consulter le blog "CONOPS" de Laurent Touchard

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