20e anniversaire des accords d’Arusha : quand la paix mène au génocide

Il y a tout juste vingt ans, le 4 août 1993, étaient signés à Arusha, en Tanzanie, les accords de paix et de partage du pouvoir censés permettre au Rwanda de sortir de la crise. Un compromis longtemps attendu mais jugé inacceptable par les extrémistes hutus, qui déclencheront le génocide contre les Tutsis huit mois plus tard. Patrick Mazimhaka, qui a participé aux négociations côté Front patriotique rwandais (FPR), revient pour Jeune Afrique sur cet épisode fondamental.

Patrick Mazimhaka, en 2009. © Vince Crawley, Africom/wikimedia

Patrick Mazimhaka, en 2009. © Vince Crawley, Africom/wikimedia

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Publié le 5 août 2013 Lecture : 4 minutes.

Ce 4 août 1993, dans la ville tanzanienne d’Arusha, le Rwanda semble enfin sortir du tunnel. Depuis le mois d’octobre 1990, une guerre intermittente oppose une rébellion armée venue d’Ouganda, le Front patriotique rwandais (FPR), à l’armée du président Juvénal Habyarimana. Constitué principalement des descendants d’exilés tutsi ayant dû quitter le pays par vagues successives depuis 1959 en raison des pogroms orchestrés contre eux par le régime, le FPR revendique le retour dans leur pays des « plus vieux réfugiés d’Afrique » ainsi que l’instauration au Rwanda de l’État de droit et d’un régime pluripartite, renonçant à l’ethnisme et à la prévarication.

Entamées en juin 1992, les négociations de paix et de partage du pouvoir qui allaient se traduire par les accords d’Arusha étaient censés mettre un terme définitif à la crise que traversait le pays. Parmi ses artisans, personne, en ce jour d’août 1993, ne se doute que ce compromis âprement négocié serait le véritable déclencheur du génocide qui débutera huit mois plus tard. Mais pour les extrémistes hutus de l’entourage de Juvénal Habyarimana, les dispositions de l’accord représentent un véritable camouflet : rapatriement des exilés tutsis, restriction des pouvoirs du président, intégration de l’opposition intérieure et du FPR dans les institutions d’État, fusion des soldats du FPR dans l’armée gouvernementale…

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« Au bout du compte, les conséquences d’Arusha ont été exactement contraires au but recherché, peut-on lire dans le rapport que l’Union africaine a consacré au génocide. Visant l’équité ethnique et la démocratie, les négociations n’ont réussi qu’à persuader l’Akazu [le surnom donné aux extrémistes hutus de l’entourage présidentiel, ndlr] qu’à moins d’agir tôt, ses jours de pouvoir étaient comptés. » Déterminés à empêcher leur entrée en vigueur, ces jusqu’au-boutistes déclencheront le chaos avant de perdre leur privilèges.

Patrick Mazimhaka, 65 ans, était alors le commissaire du FPR chargé des Relations extérieures. En tant qu’adjoint de Pasteur Bizimungu, qui présidait la délégation de l’ancienne rébellion, il a joué un rôle de premier plan dans le processus de négociation. Il a été vice-président de la Commission de l’Union africaine de 2003 à 2008.
Il revient pour Jeune Afrique sur cet épisode important de l’histoire récente du Rwanda.

Jeune Afrique : On a l’habitude de considérer que le FPR a obtenu à Arusha une victoire politique significative. Était-ce dû aux divisions de la délégation gouvernementale ?

Patrick Mazimhaka : En partie. Sous la pression, le président Habyarimana avait été contraint d’introduire le multipartisme dans la Constitution puis de nommer un gouvernement de coalition. Les partis de l’opposition intérieure, qui avaient bénéficié de ces mesures et avaient intégré le gouvernement, étaient favorables à ce changement que le FPR revendiquait. La délégation gouvernementale était donc divisée. Le ministre des Affaires étrangères qui la conduisait, Boniface Ngulinzira [qui sera tué aux premières heures du génocide, ndlr], était un cadre du Mouvement démocratique républicain (MDR-Parmehutu), un parti d’opposition. De l’autre côté, il y avait les tenants de la ligne dure, comme Claver Kanyarushoki, ambassadeur à Kampala, qui représentait les intérêts particuliers du président Habyarimana, et le colonel Théoneste Bagosora, qui représentait les militaires.

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Quelles revendications ont été les plus difficiles à négocier ?

Certainement les modalités du partage du pouvoir. Le président de la République, jusque-là tout-puissant, allait voir ses prérogatives réparties entre les différentes institutions. Cela a été très difficile de faire accepter à Habyarimana cette restriction de son pouvoir.

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Le colonel Bagosora est considéré comme le chef de fil des extrémistes qui allaient déclencher le génocide en avril 1994. Il a, par la suite, était condamné à 35 ans de prison pour génocide, crimes de guerre et crime contre l’humanité. Quelles positions exprimait-il durant les négociations ?

Tout comme Kanyarushoki, Bagosora n’acceptait pas l’idée d’un retour des exilés tutsis dans leur pays. Pour eux, le gouvernement devait rejeter purement et simplement les revendications du FPR et recommencer la guerre. En marge des sessions de négociation, quand nous avions des discussions informelles avec eux, ils ne faisaient pas mystère de leur position.

Est-il exact que le colonel Bagosora ait quitté Arusha fin 1992 en affirmant qu’il rentrait à Kigali « préparer l’apocalypse » ?

C’était à la veille de la signature d’un des protocoles d’accord de partage du pouvoir, qui allait être signé le 9 janvier 1993. Bagosora nous avait affirmé que le président ne l’accepterait pas. À l’hôtel où nous logions, j’étais dans l’ascenseur avec lui et deux ou trois de mes camarades. Bagosora avait fait ses valises alors que la session de négociation devait encore durer plusieurs jours. Je lui ai demandé pourquoi il partait prématurément. Il m’a répondu qu’il rentrait chez lui « préparer l’apocalypse ». Il a prononcé cette phrase en français. Quand il me parlait en français, c’est qu’il était fâché.

A posteriori, on constate que ces accords constituaient un camouflet pour les extrémistes hutus, ce qui les a conduits à déclencher le génocide à la veille de leur entrée en application. Le FPR avait-il conscience que l’avertissement de Bagosora n’était pas des paroles en l’air ?

Une fois engagé dans des négociations, le FPR se devait de les mener à leur terme. L’accord était placé sous les auspices de la communauté internationale, avec un pays facilitateur, la Tanzanie, un pays médiateur, le Zaïre [actuelle RD Congo, ndlr], et plusieurs pays observateurs : l’Ouganda, le Burundi, l’Allemagne, la Belgique, les États-Unis, la France, le Nigeria et le Zimbabwe. L’ONU et l’OUA [actuelle Union africaine, ndlr] étaient par ailleurs impliquées dans le processus de paix. Nous pensions qu’il serait possible de contenir les tensions alimentées par les extrémistes, c’est pourquoi nous avions demandé aux Nations unies l’envoi d’une force militaire pour protéger les populations, car des massacres ciblés avaient déjà lieu régulièrement. Mais cela reste une question pénible pour nous. Les Rwandais nous la posent souvent.

Propos recueillis par Mehdi Ba

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