Sur Twitter, pour faire le jihad, quelques signes suffisent

Les réseaux terroristes ont compris l’intérêt des nouvelles technologies de communication. Après Facebook et Youtube, les jihadistes brandissent une nouvelle arme : Twitter.

Publié le 9 août 2013 Lecture : 6 minutes.

« Quoi de mieux pour respecter le Ramadan et offrir sa gratitude à Allah que de briser le cou des envahisseurs et de détruire leur pouvoir ». Le 16 juillet dernier, ce message s’est affiché sur le compte Twitter des miliciens terroristes shebab de Somalie. Retweetée 13 fois, cette déclaration est visible par tous les utilisateurs du réseau social, qu’ils soient abonnés (« followers ») ou non au fil d’actualités de @HSMPRESS1.

Depuis plus d’un an, les organisations terroristes ont pénétré un nouveau monde virtuel. À la pointe des nouvelles technologies, les membres de ces réseaux ont appris à maîtriser les codes de Twitter, malgré quelques réticences initiales face à cette plateforme ouverte et potentiellement exposée aux services de renseignements. « Les jihadistes ont dépassé leurs craintes en réalisant les bénéfices d’une présence sur Twitter. Ils utilisent désormais toutes les facettes du réseau social », explique Aaron Zelin, chercheur à l’Institut de Washington et créateur du blog Jihadology.

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Images choc, vidéos propagandistes, communiqués, liens vers des sites plus développés, live-tweets lors de luttes armées, les moudjahidines propagent leurs idées de manière interactive et distillent les informations au compte-goutte, en 140 signes.

Véritable terrain de combat virtuel, Twitter s’inscrit dans la stratégie de communication des groupes terroristes, initiée par Oussama Ben Laden. En 2002, le chef d’Al Qaida mort en 2011, déclarait au chef des talibans Mullah Muhammad Omar que 90 % de la bataille avait lieu dans les médias et 10 % sur un champ de bataille. Les partisans des groupes jihadistes s’aventurent désormais sur le terrain des réseaux sociaux. En les infiltrant, ils renouvellent leur stratégie, se connectent au gré des @ et découvrent par le biais des hashtags un nouveau monde à explorer.

Le microcosme jihadiste s’ouvre peu à peu

Avec 4 742 tweets et plus de 20 000 abonnés, l’organisation Jahbat al-Nusra, en Syrie, est la plus active sur Twitter. Les Shebab et Al-Qaïda au Maghreb Islamique ont, quant à eux, plusieurs centaines de tweets à leur actif.

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Si 140 signes ne permettent pas de détailler une idéologie, ils permettent des tweets coup de poing relayant le nombre de victimes lors d’attentats suicides ou les photographies de soldats occidentaux morts sur le champ de bataille. Sur le compte Twitter du chef taliban Abdulqahar Balkhi, le cliché d’un homme allongé est accompagné d’une légende : « Tant que nos martyrs sourient en s’imaginant au paradis, alors ils ont triomphé. »

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Sur Twitter, les militants actifs et engagés dans un groupe armé, les cadres officiels d’organisations terroristes et les simples défenseurs virtuels du Jihad se côtoient, créant une interaction entre la base du mouvement et ses leaders mais pas seulement. Les comptes des partisans ont l’avantage de toucher une audience plus large. Le système de tri par hashtag (#) permet même aux recrues potentielles de trouver rapidement leur communauté.

La propagande des groupes armés, visible par tout un chacun, facilite le recrutement de jeunes terroristes.

Via la plateforme, les groupes jihadistes informent les internautes directement, balayant ainsi le biais des médias qui deviennent des « twittos » lambda. La chaîne de télévision Al-Jazira n’est plus l’intermédiaire privilégié des réseaux islamistes radicaux. Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a récemment appelé les journalistes à poser des questions directes sur Twitter.

La propagande des groupes armés, visible par tout un chacun, facilite le recrutement de jeunes terroristes. En un clic, les internautes isolés peuvent se laisser happer par leur propagande. Désormais, ce ne sont plus les jihadistes initiés qui ont accès aux contenus mais les consommateurs d’informations sur internet. Et l’information ne s’obtient plus en faisant la démarche de s’inscrire sur un forum, protégé par un mot de passe, mais court sur la timeline des abonnés Twitter. Le microcosme jihadiste s’ouvre peu à peu et laisse la place à une jeune génération adepte des réseaux sociaux.

Des cours pour maîtriser les réseaux sociaux

À défaut d’être en concurrence, les forums et les réseaux sociaux se complètent : la plupart des sites privés de discussion affichent sur leur page d’accueil un lien vers leur compte officiel Twitter. Certains sites participatifs proposent même des cours pour apprendre aux convaincus comment utiliser des logiciels comme Photoshop, créer un blog et communiquer via les réseaux sociaux.

Et la communication des jihadistes est d’autant plus accentuée que les messages des groupes armés se lisent désormais dans toutes les langues. Si les forums sont essentiellement écrits en arabe, certains utilisent la langue de Shakespeare pour s’exprimer, à l’image de l’imam américain Anwar al-Awlaki (mort en 2011). « Ils utilisent l’anglais parce qu’ils savent que les médias les surveillent et qu’ils peuvent ainsi amplifier davantage leur message puisque la plupart des journalistes ne connaissent pas l’arabe. Ils veulent être capables de diffuser leur communication à différents types d’audiences et d’individus dans le vaste monde musulman », résume Aaron Zelin. Afin de propager plus massivement la parole du Jihad, certains comptes officiels d’organisations terroristes traduisent également leurs tweets en espagnol, en italien, en français, entre autres, à l’instar d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

Le 26 juin dernier, l’organisation islamiste Aqmi a donné des nouvelles des otages français et européens en publiant un communiqué traduit en français.

Le compte officiel de l’organisation des Shebab a fait ses premiers pas sur Twitter en implorant Allah. Ce tweet est le seul qu’ils aient publié en arabe.

Une liberté totale via Twitter ?

Cette nouvelle visibilité est facilitée par le manque de contrôle de la plateforme. Désormais, les données ne sont plus centralisées comme sur les forums. Les 140 millions de tweets quotidiens créent un capharnaüm d’informations susceptible de mettre à mal la cybersurveillance. Les sites de discussion des organisations jihadistes sont facilement attaqués par les services de renseignement et les hackers. Malgré la création de sites-miroirs évitant la perte des documents collectés sur ces forums, certains jihadistes ont préféré se tourner vers l’instantanéité et la fiabilité de Twitter… ainsi que sur la liberté presque totale dont jouissent ses utilisateurs.

En effet, malgré une incitation parfois évidente à la violence et la publication d’images cruelles, les comptes des organisations jugées terroristes Jabhat al-Nusra ou encore Aqmi sont toujours en ligne. Si le premier compte des Shebab @HSMPRESS a été suspendu, l’organisation en a rapidement ouvert un autre, sous le nom presque similaire de @HSMPRESS1.

Les comptes Twitter de tels groupes armés représentent une manne d’informations pour les renseignements

En interrogeant l’entreprise Twitter sur le contrôle vis-à-vis de l’activisme des réseaux jihadistes, nous avons obtenu cette simple phrase en guise de réponse : « Nous disposons de règles pour contrôler ce qui est acceptable ou non sur le site, vous pouvez les trouver dans le lien ci-après : twitter.com/rules. Si quelqu’un fait état d’une violation potentielle de ces règles, nous l’évaluerons manuellement, puis, nous déciderons si nous devons agir sur le compte. » Dans les règles inscrites sur le site, il n’est fait pourtant aucune mention du terrorisme.

Si le gouvernement américain a affirmé vouloir lutter contre la nébuleuse jihadiste, il ne faut pas oublier que les comptes Twitter de tels groupes armés représentent une manne d’informations pour les renseignements. Les supprimer priverait les services spéciaux d’une visibilité accrue sur les actions passées et à venir des terroristes.

Depuis un an, Twitter accueille de nombreux moudjahidines connectés dont les ressources de la Toile n’ont plus de secret. De l’information à la propagande, le pas semble franchi pour certains abonnés, devenus militants.

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