Assassinat de Mohamed Brahmi : la Tunisie plonge dans l’inconnu
L’assassinat, le 25 juillet, du fondateur du « Courant populaire », Mohamed Brahmi, pourrait changer la donne politique en Tunisie. Alors que la Constitution n’est toujours pas finalisée, la légitimité de la troïka au pouvoir est de plus en plus contestée. Et les islamistes d’Ennahdha sont plus que jamais sous le feu des critiques.
Dans les principales villes tunisiennes, la nuit a été chaude et les affrontements nombreux. Par milliers, les citoyens ont investi les rues pour crier leur colère ; après Lotfi Nagdh, en octobre 2012, Chokri Belaïd en février 2013, l’assassinat du militant nationaliste de gauche, Mohamed Brahmi (ci-dessous), semble le crime politique de trop.
Cet élu de l’Assemblée nationale constituante (ANC) pour la circonscription de Sidi Bouzid, berceau de la révolution, dérangeait dans de nombreux cercles. Ennahdha, le parti islamiste au pouvoir, avait espéré un temps bénéficier de l’appui des formations nationalistes arabes, telles que celle de Brahmi. Mais ce dernier, fondateur du « Courant populaire » après avoir été leader du parti « El Chaab », a préféré intégrer en avril le Front populaire, une alliance de partis de gauche.
Il a aussi pris à contre-pied le soutien apporté par Ennahdha au pouvoir de Mohamed Morsi, en appuyant notamment le soulèvement qui a abouti à la destitution de l’ancien président égyptien. Et il était allé jusqu’à établir un parallèle entre la faible légitimité des Frères musulmans et celle de la troïka dirigeante en Tunisie.
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La légitimité de l’ANC remise en question
Sur ce point son argument essentiel était que l’ANC n’avait, selon lui, pas respecté le mandat d’un an qui lui avait été accordé pour élaborer une nouvelle Constitution. Depuis le 23 octobre 2012, la légitimité du pouvoir était ainsi mise en cause. Un sujet qui, bien que récurrent dans le discours politique des partis d’opposition, avait connu une nouvelle actualité en raison des évènements en Égypte, vécus comme une menace par Ennahdha, le parti majoritaire qui semble cependant de moins en moins populaire.
Dans ce contexte tendu, les 14 balles (ou 11, selon les sources) qui ont abattu Mohamed Brahmi, font à nouveau basculer la Tunisie dans l’inconnu, tant le gouvernement est poussé dans ses retranchements. Il s’était engagé, lors de sa prise de fonction en mars 2013, à juguler la violence politique, à dissoudre les milices, dont les ligues de protection de la révolution, et à contrôler la flambée des prix. Or presque rien n’a été fait.
Désormais Ennahdha semble isolée face à une opposition politique et une société civile qui, pour une large partie, exigent la chute du gouvernement et la dissolution de l’ANC. Le Front populaire incite à la désobéissance civile tandis que des collectifs citoyens font le siège de l’Assemblée. Une dizaine d’élus du Bloc démocrate ont annoncé leur intention de démissionner.
Menaces de mort
L’assassinat d’un homme politique, en plein jour et en toute impunité, engage la responsabilité du gouvernement, affirment en substance les compagnons de Brahmi tandis que le choix de la date de l’assassinat par les tueurs, le jour de la fête de la République, laisse à penser que ceux-ci voulaient signifier leur mépris de l’État. D’un point de vue religieux, beaucoup de Tunisiens s’indignent également que des musulmans ôtent la vie à d’autres, surtout durant le mois sacré du Ramadan.
Le ministère de l’Intérieur est directement visé par la colère des manifestants. On lui reproche de réprimer des manifestations pacifiques alors que les assassins de Chokri Belaïd courent toujours et qu’il n’a pas su donner de protection à Mohamed Brahmi, lequel faisait l’objet de menaces de mort. La situation sécuritaire et la montée de la violence sont des questions cruciales pour l’avenir du pays. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé que l’arme qui a abattu Mohamed Brahmi, de calibre 9mm, provient des réseaux de trafiquants avec la Libye.
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Par Frida Dahmani, à Tunis
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