Guinée : Koulé et N’Zérékoré, les raisons de la violence
À Koulé et N’Zérékoré, en Guinée forestière, trois journées de violences ethniques entre les Guerzés et les Koniankés ont fait au moins 58 morts et 160 blessés, du 15 au 17 juillet. Une explosion de haine qui a pris tout le monde de court.
Quelques jours après les violents affrontements intercommunautaires des 15, 16 et 17 juillet en Guinée forestière, les habitants étaient encore sous le choc. Le 19 juillet, le porte-parole du gouvernement annonçait un premier bilan de 58 morts, et 160 blessés dans le village de Koulé et à N’Zérékoré, la capitale régionale, à 850 km au sud-ouest de Conakry. Des heurts étaient aussi signalés plus au nord à Beyla, où une église a été incendiée.
« Pendant 48 heures, on a entendu des tirs d’armes automatiques des soldats qui tentaient sans succès de rétablir l’ordre. Il y a toujours eu des antagonismes entre les Guerzés [une ethnie forestière autochtone, chrétienne ou animiste, majoritaire dans la région] et les Koniankés [mandingues, apparentés aux Malinkés, et musulmans], avec parfois des violences, mais jamais je n’aurais cru qu’on en arriverait à ces extrémités », confie, choqué, un expatrié installé à N’Zérékoré.
La rapidité avec laquelle la violence s’est propagée a pris tout le monde de cours. « Tout est arrivé très vite, à partir d’un incident à Koulé, explique une travailleuse humanitaire. Dans ce village à 40 km de N’zérékoré, un gardien guerzé de la station-service a tué deux Koniankés soupçonnés de tentative de vol. S’en est suivie une série de représailles sanglantes ; d’abord dans le village, mais aussi quasi immédiatement à N’Zérékoré. Il y a eu une mobilisation via le téléphone portable, colportant souvent des fausses rumeurs, d’incendies de mosquées ou d’église, ou d’assassinats de chefs traditionnels. »
Place "jonchée de cadavres"
À Koulé, un témoin décrit la place du village « jonchée de cadavres », tandis qu’à N’Zérékoré, des dizaines de corps ont été amenés à l’hôpital central, mutilés à la machette, tués avec des fusils de chasse ou brûlés. Même si certains cherchaient à incriminer des mercenaires venus du Liberia ou de la Côte d’Ivoire, le HCR indiquait n’avoir observé aucun mouvement suspect à la frontière. Sans écarter pour autant la participation d’anciens membres de groupes armés guinéens, nombreux dans la région.
Pour beaucoup, si les violences ont pris une telle ampleur, c’est en raison de la faiblesse des forces de l’ordre au moment des faits. « Au camp militaire, jusqu’à mardi soir, seul un soldat sur deux avait une arme en état de marche», affirme un habitant. « Il a fallu attendre mercredi avant qu’un contingent n’arrive de la capitale », s’insurge un responsable religieux. « Et comme les rares militaires présents dans la région se sont rendus à Koulé lundi matin, il n’y avait alors plus personne à N’Zérékoré, au moment où les violences démarraient là-bas », détaille un expatrié.
Le calme n’est donc revenu que mardi, après l’arrivée par avion du capitaine Claude Pivi et du lieutenant-colonel Tiégboro Camara, appuyés par des contingents venu de Conakry et Guéckédou. « Leur réputation d’hommes « à forte poigne » [inculpés pour leurs rôles présumés dans les massacres du 28 septembre 2008 à Conakry] a plutôt rassuré les gens. Ils ont arrêté de nombreux jeunes combattants depuis mercredi », indique le responsable religieux.
Le fief de Moussa Dadis Camara
Koulé, où tout a démarré, est un foyer de tension. Proche du projet minier de Zogota, il a attiré de nouveaux habitants qui cohabitent difficilement avec les autochtones. Ces derniers réclamaient la priorité dans l’accès aux postes sur le site minier. Une émeute, faisant 5 victimes, avait d’ailleurs éclaté à ce sujet en août 2012. La localité est aussi le village du controversé Moussa Dadis Camara, l’ancien chef de la junte militaire, en exil au Burkina-Faso depuis 2009. Celui-ci avait d’ailleurs fait un passage remarqué à Koulé, puis à N’Zérékoré, à la mi-avril dernier, salué par foules, à l’occasion des obsèques de sa mère.
Les graves violences de ces derniers jours pourraient dégrader un peu plus la popularité d’Alpha Condé.
Pour gagner aux élections présidentielles de 2010, Alpha Condé s’était appuyé, entre autres, sur les partisans de Dadis. L’un des proches de ce dernier, l’homme d’affaires guerzé Papa Koly Kourouma, avait réussi à faire un score honorable de 5,74% au premier tour grâce à ses soutiens dans la région. Il s’était rallié à Condé au second tour avant d’intégrer son gouvernement. Mais depuis, les relations entre les deux hommes seraient tendues et leur popularité commune est en berne dans la région.
« Lors du passage de Dadis à N’Zérékoré, Papa Koly Kourouma a été hué par la foule. Des Forestiers ont l’impression d’avoir été abandonnés par l’État. Ils pensent aussi que le président favorise les Koniankés pour des raisons ethniques », indique un habitant. Les graves violences de ces derniers jours pourraient dégrader un peu plus la popularité d’Alpha Condé. Malgré l’ampleur des violences, la date des élections législatives du 24 septembre prochain était toujours confirmée par la Ceni. En dépit des évènements, le président guinéen, n’a pas annulé son déplacements à Abuja les 18 et 19 juillet.
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Par Christophe Le Bec
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