Théâtre : à Avignon, Myriam Marzouki dégoupille « Le début de quelque chose »

Dans sa dernière mise en scène, Myriam Marzouki décortique le rapport de l’Occident au bonheur égoïste, à celui qui se fait chez et contre l' »autre ». « Le Début de quelque chose », une pièce dérangeante et une charge violente contre le tourisme de masse dans les pays dictatoriaux et corrompus.

« Le Début de quelque chose », d’après le texte de Hugues Jallon, mise en scène de Myriam Merzouki. © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

« Le Début de quelque chose », d’après le texte de Hugues Jallon, mise en scène de Myriam Merzouki. © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

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Publié le 16 juillet 2013 Lecture : 3 minutes.

C’est un diagnostic froid, implacable, clinique que dresse Myriam Marzouki dans Le Début de quelque chose, présenté dans le cadre du Festival d’Avignon (« In ») jusqu’au 20 juillet. Inspirée du roman éponyme de Hugues Jallon, la dernière création de la metteure en scène franco-tunisienne analyse, dissèque les ressorts d’un certain tourisme de masse. Celui qui se réfugie dans des clubs de vacances retranchés, des lieux idylliques totalement aménagés pour des Occidentaux qui ne veulent plus penser à rien.

Ne penser à rien… C’est bien là le problème. Tout est fait pour que le touriste se laisse abrutir. Littéralement. Car derrière la façade dorée et aseptisée de ces clubs de vacances s’opère une œuvre de décérébration. Prise en charge totale, pas de magazine, ni de journaux pour relayer ce qui se passe à l’extérieur. On se félicite du temps ensoleillé et de la lumière, si exceptionnelle, de l’horizon dégagé, de la couleur de l’eau. On évoque avec condescendance la ville alentour et ses habitants, aperçus subrepticement derrière les vitres fumées d’un bus climatisé, sur la route qui relie le club à l’aéroport international.

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Faire de l’argent

On parle de tout… sauf de politique. Surtout pas de politique et du soulèvement populaire en cours dans ce pays au « régime stable légèrement corrompu » et aux « bons indicateurs économiques », où la « main d’œuvre est toujours souriante », les dirigeants « formés aux États-Unis » et où l’opposition est « marginale, divisée », « inaudible en somme ». Bref, « c’est vraiment parfait ! » s’exclame l’un des deux dirigeants du club. Parfait pour faire de l’argent.

Le Début de quelque chose, d’après le texte de Hugues Jallon, mise en scène de Myriam Merzouki © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

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Les vacanciers pris en charge du matin au soir ne s’intéressent à rien d’autre qu’à leur petite personne et finissent pas ne plus réfléchir, par errer tels des fantômes, n’étant plus qu’un pâle reflet d’une humanité bien lointaine. Le tourisme de masse, nouvel opium du peuple alors ? « Oui », affirme sans hésiter la metteure en scène qui a fait de son théâtre une œuvre politique qui questionne les « malaises occidentaux », comme « cette obsession pour le bonheur à tout prix, pour toujours plus de sécurité, de santé… » Une préoccupation que la fille de l’actuel président tunisien et ancien opposant, Moncef Marzouki, portait déjà en 2011 à Avignon dans le projet Invest in Democracy dans lequel elle dénonçait les compromissions de ce tourisme de masse avec les régimes dictatoriaux, tels la Tunisie de Ben Ali.

Aucune échappatoire

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Dans Le Début de quelque chose, Myriam Marzouki va au-delà. La mise en scène tranchée ne laisse aucune échappatoire et finit par mettre mal à l’aise. Parce que l’on pourrait parfois se reconnaître à travers les caractères des personnages. Parce que l’on a peut-être songé un jour à tenter cette expérience de vacances faciles. Parce qu’aucun personnage ne se révolte. Que le jugement de la mise en scène semble définitif. Mais surtout parce que cette œuvre de décérébration est plus large qu’il n’y paraît.

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Tantôt les décors suggèrent l’hôpital psychiatrique, tantôt la mise en scène évoque les sectes, le coaching personnel, mais aussi les camps de réfugiés. Cette mise à plat d’expériences si diverses peut sembler parfois abrupte et confuse. Mais elle a le mérite de nous amener à nous interroger sur les travers d’un certain Occident qui continue à aller chercher ailleurs ce qu’il n’a pas, sans se soucier de l’autre et de ce qu’il peut vivre chez lui. « Finalement, explique celle qui est aussi professeure de philosophie dans un lycée de banlieue parisienne, on ne va pas chercher l’altérité. La rencontre ne peut pas se faire dans ces conditions. » Un comportement qui par bien des égards pourrait être qualifié de néo-colonial…

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Par Séverine Kodjo-Grandvaux, envoyée spéciale à Avignon

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