Qatar, Printemps arabe et frénésie islamo-wahhabite

Frank Nouma est un journaliste indépendant.

Publié le 10 juillet 2013 Lecture : 4 minutes.

Généralement, il faut laisser s’écouler plusieurs années avant de découvrir toute la vérité sur une révolution. Il en fut ainsi pour la révolution française, la bolchevique ou la chinoise. Dans le cas tunisien et celui des pays du « Printemps arabe » en général, deux années ont suffi pour se rendre compte que la révolution n’était qu’un beau mythe, une idée mobilisatrice, qui répondait à un désir réel de démocratie.

Deux années ont suffi pour réaliser combien le rôle d’un émirat minuscule a été déterminant dans la chute successive des régimes tunisien, égyptien et libyen. D’où sans doute le ressentiment, voire l’hostilité que les populations de ces trois pays cultivent à l’égard de l’émirat libérateur. Une hostilité d’autant plus accrue que ces trois pays sont tombés dans l’escarcelle de l’islamisme, que le Qatar a soutenu et financé bien avant le « Printemps arabe », à plus forte raison après.

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« Le Qatar est notre associé dans la révolution », avait déclaré à deux reprises le chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi. Et pour cause : dès l’immolation de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, la chaine qatarie s’est mobilisée pour défendre la cause des jeunes chômeurs contre la tyrannie mafieuse de l’ex-président Ben Ali. La mort, le 4 janvier 2011, de ce jeune vendeur de légumes, fera passer Al-Jazira de la couverture médiatique au marketing révolutionnaire.

L’appel au « jihad pacifique » du prédicateur Youssef Al-Qaradaoui sera une étape décisive dans ce nouveau rôle que le Qatar entendait jouer dans le « Printemps arabe ». Selon Claire-Gabrielle Talon, spécialiste de la chaîne : « Al-Jazira a affiché un soutien manifeste aux révolutionnaires dès le début des événements en Tunisie. Elle a parfois été trop réactive en faisant état de certaines informations inexactes sur l’Égypte ou la Tunisie ».

Ceux qui n’étaient pas connectés aux réseaux sociaux (Facebook et Twitter) ont été galvanisés par Al-Jazira, dont le pouvoir sur l’opinion arabe était devenu quasiment hypnotique. C’est ainsi que la jonction entre le virtuel et le réel, entre une jeunesse globalisée et une classe sociale paupérisée a pu s’établir.

L’émirat gazier pouvait-il agir sans l’aval de la première puissance mondiale qui assure sa protection contre deux voisins potentiellement belliqueux : l’Iran et l’Arabie Saoudite ? Cela paraît peu probable. Dans son ouvrage Le Printemps arabe : une manipulation ?, le chercheur franco-algérien Naoufel Brahimi El Milli soutient que le Qatar est l’agent traitant des États-Unis qui ont trouvé l’opportunité de réaliser le fameux « Grand Moyen-Orient » cher à George W.Bush et aux néoconservateurs. En d’autres termes, le président Obama pourrait réussir par le « soft power » là où George Bush a échoué par le « hard power ».

La démocratie en Tunisie, en Égypte et en Libye semble être le dernier souci du cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani.

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Naoufel Brahimi n’a pas été le premier à soutenir cette thèse. Le philosophe et ancien ambassadeur tunisien, Mezri Haddad, fut le tout premier à la soutenir dans son livre La face cachée de la révolution tunisienne. Islamisme et Occident : une alliance à haut risque (septembre 2011). Il y dénonçait de manière virulente « le rôle subversif de la monarchie bédouine » et avait anticipé le futur « hiver islamiste ».

En quoi serait-il scandaleux que le Qatar ait pu jouer un tel rôle ? Après tout, c’est tout à l’honneur d’une oligarchie réactionnaire de contribuer à l’émergence de la démocratie en terre arabe… Seulement voilà : la démocratie en Tunisie, en Égypte et en Libye semble être le dernier souci du cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani. Toute sa stratégie, et les événements l’ont confirmée, consiste à porter au pouvoir les différents mouvements islamistes.

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Avec le poids financier du Qatar, sa diplomatie hyperactive et sa force de frappe médiatique par le biais d’Al-Jazira, les différents partis progressistes ou de gauche n’avaient aucune chance face à l’islamisme estampillé « modéré ». Plus grave encore, l’émirat du Qatar soutient aussi les mouvements islamistes les plus extrémistes, non seulement dans les pays arabes mais également en Afrique, de Tombouctou jusqu’à Dakar.

C’est cette frénésie islamo-wahhabite qui a tendance à discréditer le Qatar, un émirat qui bénéficiait jusqu’alors d’une belle image dans le monde arabe et occidental. En effet, l’on assiste depuis l’année dernière à un renversement de situation qui sonne peut-être le glas des ambitions impériales d’un émirat qui a su cacher son jeu jusqu’à présent et dont le messianisme islamiste n’est plus un secret pour personne.

Il ne se passe plus une semaine où un hebdomadaire français, allemand ou belge ne consacre sa couverture au Qatar, en termes inhabituellement peu élogieux. Le brutal coup d’arrêt de la France à la métastase de l’islamisme au Mali et au Niger est venu rappeler au Qatar que les alliances sont toujours conjoncturelles. Le risque de disqualification du Qatar semble inévitable et la chute importante de l’audience d’Al-Jazira est un symptôme qui en inquiète certains… et rassure les autres.

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