Hollande en Tunisie : les dossiers chauds d’une visite très attendue
François Hollande effectue une visite d’État en Tunisie les jeudi 4 et vendredi 5 juillet. Ce voyage officiel, destiné à afficher le soutien français à la transition démocratique tunisienne, devrait se dérouler sans accroc. À moins que certains sujets sensibles ne viennent parasiter l’entente cordiale affichée par les deux pays…
Après l’Algérie et le Maroc, François Hollande débarque jeudi 4 juillet en Tunisie, seul pays d’Afrique du Nord francophone où il ne s’est pas rendu depuis son arrivée à l’Élysée. Le président français atterrira jeudi après-midi à 13h (locales) à l’aéroport de Tunis pour une visite de deux jours. Objectif annoncé par l’entourage du chef de l’État : délivrer un « message d’encouragement » à ce pays pionnier des Printemps arabes, qui connaît une transition démocratique « avec ses succès et parfois ses difficultés ».
Selon des sources diplomatiques, aucun nuage ne devrait venir perturber ce déplacement attendu – et maintes fois repoussé – de François Hollande en Tunisie. « Tout le monde veut que ça se passe bien, affirme un responsable français. Nous sommes deux pays amis aux liens profonds, il n’y aura donc aucun sujet tabou et rien ne sera évité ». Malgré les déclarations rassurantes des uns et des autres, quelques dossiers chauds devront tout de même être pris avec des pincettes par le président français.
- Respect des droits humains et de la liberté d’expression
Comme d’habitude lors des visites d’État à l’étranger, François Hollande devrait publiquement rappeler l’importance que la France attache au respect des droits de l’homme et des libertés individuelles à travers le monde. En Tunisie, cet exercice s’annonce périlleux. Ces derniers mois, plusieurs personnes – la Femen Amina Sbouï, le rappeur Weld El 15, ou encore des jeunes de Mahdia qui avaient publié des écrits et des dessins jugés blasphématoires – ont été condamnés à des peines d’emprisonnement ferme ou avec sursis pour avoir trop ouvertement manifesté leurs opinions. Un des jeunes de Mahdia, Ghazi Beji, condamné à sept ans de prison, a notamment obtenu l’asile politique en France, devenant ainsi le premier réfugié politique de la Tunisie post-Ben Ali. Outre ces affaires judiciaires médiatisées, il n’est pas rare que les journalistes tunisiens soient harcelés et des élus intimidés ou menacés, voire même tués comme Lotfi Naguedh, membre de Nida Tounès et Chokri Belaïd, le secrétaire général du Mouvement des patriotes démocrates.
Le chef de l’État tentera donc de faire passer ses messages, en se gardant de prêter le flanc aux accusations d’ingérence dans les affaires internes tunisiennes. « Nous serons attentifs au respect d’un certain nombre de valeurs mais nous n’avons pas de leçons à donner », résume un conseiller élyséen.
- Absence de Manuel Valls
De nombreux ministres français accompagneront François Hollande lors de ce déplacement en Tunisie. Seront notamment présents Laurent Fabius, Pascal Canfin, Nicole Bricq, ou encore Najat Vallaud-Belkacem. Un poids lourd du gouvernement sera toutefois absent : le ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Après l’assassinat de Chokri Belaïd, tué par balles le 6 février à Tunis, il s’était attiré les foudres du parti islamiste au pouvoir Ennahdha pour avoir mis en garde contre la montée d’un « fascisme islamique » en Tunisie. C’est donc peu dire que l’homme-fort du gouvernement Ayrault n’était pas le bienvenu. « Manuel Valls ne sera pas du déplacement pour cause de calendrier incompatible » se défend-on, un peu gêné, à l’Élysée.
- Prudence diplomatique
En dehors des entretiens officiels avec le président Moncef Marzouki, le Premier ministre Ali Larayedh et le président de l’Assemblée nationale consitutante Mustapha Ben Jaafar, François Hollande ne croisera aucun responsable des partis de la troïka au pouvoir (Ennahdha, CPR, Ettakatol). Le président français s’entretiendra en revanche avec de nombreux membres de l’opposition (Hamma Hammami, Béji Caïd Essebsi, Samir Taïeb…) et de la société civile (Yadh Ben Achour, Basma Khalfaoui, Habib Kazdaghli…)
La situation de crise en Égypte, où l’armée a écarté les Frères musulmans (proches d’Ennahdha) du pouvoir, incite à la prudence diplomatique du côté français. Un faux pas pourrait vite être interprété comme un soutien aux islamistes ou, au contraire, à leurs opposants. Dans un communiqué publié le 3 juillet, la France « prend acte » des dernières évolutions en Égypte, souhaitant que « les échéances soient préparées dans le respect de la paix civile, du pluralisme, des libertés individuelles et des acquis de la transition démocratique, afin que le peuple égyptien puisse choisir librement ses dirigeants et son avenir ». De son côté, Ennhahda a clairement exprimé son soutien à Mohamed Morsi, qui a qualifié la situation dans son pays de « coup d’État » militaire.
- Annulation de la dette
À la faveur de cette visite d’État, les Tunisiens s’attendent à ce que le président Hollande s’exprime sur la dette de la Tunisie à l’égard de la France. Ils souhaiteraient notamment que Paris prenne une initiative similaire à celle de l’Allemagne, qui a accepté que les 60 millions d’euros de créances tunisiennes soient convertis et investis dans des projets de développement durable.
Estimé à 1,7 milliard d’euros, le montant emprunté à la France est autrement plus important. « Procéder à l’annulation de la dette tunisienne [environ 50% du PIB, NDLR] pourrait constituer un signal négatif pour la Tunisie sur les marchés internationaux, indique une source à l’Élysée. D’autres options sont envisageables, comme la reconversion d’une partie de la dette. » Si aucune décision ne semble avoir été prise pour le moment, nul doute que le sujet sera mis sur la table à un moment ou à un autre lors de la visite présidentielle.
- La Syrie et le contexte sécuritaire régional
Au même titre que le coup de force en Égypte, le conflit syrien sera évoqué par François Hollande et ses hôtes. Des centaines de jeunes tunisiens ont rejoint des brigades jihado-salafistes en Syrie et leur retour au pays représente une menace non-négligeable. Français et Tunisiens aborderont également la question de la sécurité régionale, marqué par la crise égyptienne et surtout la situation préoccupante en Libye qui influe directement dur la Tunisie. Trafic d’armes, camps d’entraînements, présence d’Aqmi, émergence du mouvement jihadiste et amélioration du contrôle des frontières sont autant de points qui risquent de provoquer une gêne du côté tunisien, le gouvernement ayant semblé pendant longtemps – et jusqu’à récemment – faire preuve d’indulgence face aux extrémistes qui menacent directement l’État et la transition démocratique.
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Benjamin Roger et Frida Dahmani, à Tunis
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