Mandela face à la mort, ou la fierté du devoir accompli
Durant tout son combat pour la liberté du peuple sud-africain, Nelson Mandela a souvent envisagé sa propre mort, autant qu’il a été confrontée à celle de ses proches. Mais avec la fin de l’apartheid et les débuts de la démocratie dans son pays, en 1994, c’est avec la fierté du devoir accompli qu’il la regardait en face, avec sérénité.
Qui ne se souvient pas de la tirade prononcée par Nelson Mandela au procès de Rivonia en 1964, et passée à la postérité ? « Mon idéal le plus cher a été celui d’une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie avec des chances égales. J’espère vivre assez longtemps pour l’atteindre. Mais si cela est nécessaire, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir », avait-il lancé à ses juges, alors qu’il risquait la peine capitale.
Malgré les défauts actuels de la démocratie sud-africaine, Madiba aura vécu assez longtemps pour voir son idéal se réaliser avec les premières élections libres post-apartheid qui l’ont porté au pouvoir en 1994. « Je ne doute pas un seul instant que lorsque j’entrerai dans l’éternité, j’aurai le sourire aux lèvres », avait-il écrit en 1997.
Lors de son combat contre le régime raciste de l’apartheid, le premier président noir de l’Afrique du Sud a souvent envisagé sa propre mort. Il a aussi été confronté à celle de ses proches sans qu’il lui soit possible, durant ses 27 années de détention, d’assister à leurs funérailles. Ce fut le cas pour son fils aîné, pour sa mère mais aussi pour de nombreux compagnons ayant sacrifié leur vie pour le combat qu’il menait depuis sa prison. Au point d’écrire, un jour de 1987, qu’il lui semblait que « le monde lui-même était en train de mourir ».
Solitude
Son ancien camarade de cellule Ahmed Kathrada, 83 ans, a récemment rappelé au Sunday Times comment Mandela avait réagi en apprenant la mort de son fils aîné Thembekile en 1969. « Il a été appelé par l’administration. Nous étions tous dans la cour mais au lieu de revenir avec nous, il a regagné directement sa cellule et s’est mis sur son matelas. C’était pareil quand sa mère est morte. Il était seulement très silencieux et portait le deuil tout seul ».
Une solitude douloureuse qui l’a marqué de son vivant mais dont il ne veut résolument pas pour sa mort. S’étant toujours réclamé de la tradition du peuple xhosa, qui veut qu’il repose près de ses proches, il avait clairement indiqué dans un documentaire de 2003, vouloir être enterré à Qunu, le village de son enfance. « Ma famille est là-bas et j’aimerais être enterré là chez moi », déclarait-il au pied du carré familial des Mandela.
D’où l’incompréhension de nombreux Sud-Africains devant la volonté de Mandla Mandela, l’aîné des petits-fils du père de la nation, de réunir les tombeaux familiaux dans le cimetière de Mvezo, son village natal situé à une trentaine de kilomètres de Qunu, où il a déjà fait transféré les corps de son père, de son oncle et de sa tante en 2011. Seize membres de sa famille s’y sont récemment opposé en urgence pour tenter de les rapatrier dans le village d’enfance de Madiba, où celui-ci souhaite reposer.
Selon la presse locale, c’est dans un testament tenant sur une page A4 que le Prix Nobel de la paix 1993 a consigné ses instructions pour demander que sa dernière demeure reste des plus modestes, à l’image de cette simplicité qui l’a rendu si populaire dans le monde. « Il ne s’est jamais beaucoup creusé la tête à propos de sa mort mais n’a jamais voulu quelque chose de fantaisiste », a confié un ami de la famille à l’hebdomadaire Mail&Guardian.
Fantaisie
Sa seule fantaisie consistait à imaginer en 2003 Walter Sisulu, l’homme qui l’a amené à la politique, l’attendant au paradis avec un formulaire d’adhésion à l’ANC et en train de chanter un appel à la mobilisation. Le lieu où il doit être inhumé, situé à environ 500 mètres de la maison des Mandela, de l’autre côté de la voie rapide N2, est sobre et facile à repérer de loin par la silhouette des arbres formant un carré.
De larges stèles de facture relativement simples et austères se dressent dans les herbes hautes jaunies avec l’inscription « Mandela » gravée sur le haut d’un fronton triangulaire. « J’aimerais qu’on dise "Ici repose un homme qui a fait son devoir sur la terre". C’est tout », avait déclaré le héros de la lutte contre l’apartheid en 2006 dans un documentaire, faisant écho à un propos tenu en 1996 : « La mort est inévitable. Quand un homme a accompli ce qu’il considère comme son devoir envers les siens et son pays, il peut reposer en paix. Je pense que j’ai fait cet effort et c’est pourquoi je vais donc pouvoir reposer pour l’éternité ».
Dans une autre déclaration, lors de l’éloge funèbre du dirigeant communiste Joe Slovo en 1995, Nelson Mandela avait déclaré : « Les hommes et les femmes de qualité sont rares et difficiles à croiser. Et quand ils s’en vont, le sentiment de perte est d’autant plus profond et plus difficile à gérer ». Ce sera sûrement le cas en Afrique du Sud, quand il disparaîtra, et, au-delà, en Afrique toute entière.
(Avec AFP)
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