Nuits algéroises : rallumer le feu !

Le maire d’Alger centre, Abdelhakim Bettache, se démène pour que ses concitoyens sortent à nouveau le soir et regagnent l’espace public perdu pendant la guerre civile des années 90. Un objectif appuyé par le gouvernement, qui paraît cependant davantage à la portée des hommes que des femmes.

Depuis les années 90, la vie nocturne s’est peu à peu éteinte à Alger. © Creative commons/Wikimedia Commons/PhR61

Depuis les années 90, la vie nocturne s’est peu à peu éteinte à Alger. © Creative commons/Wikimedia Commons/PhR61

Publié le 2 juillet 2013 Lecture : 4 minutes.

Ce vendredi 21 juin, 21 heures, le président de l’Assemblée populaire communale (APC, mairie) d’Alger centre (environ 75 000 habitants) a tombé le costume pour le survêtement. Abdelhakim Bettache organise une parade qui doit rejoindre la Grande Poste, au cœur de la capitale, depuis les hauteurs. L’ensemble, notamment en raison des chants patriotiques entonnés par des chorales d’enfants, garde un air d’Algérie des années 1980. Mais l’initiative a le mérite de réveiller la capitale.

Pas qu’au sens figuré. Parmi les troupes folkloriques présentes ce soir-là, des cavaliers tirent des salves de fusils qui déclenchent les alarmes trop sensibles des automobiles. Dans les rues, les passants filment et photographient, applaudissent et parfois se mettent à suivre le défilé.

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Depuis la guerre civile, qui a massivement opposé l’armée à des groupes islamistes dans les années 1990, les rideaux des commerces de la capitale tombent en même temps que le soleil. Certes, Alger n’a jamais été Ibiza, Barcelone ni même Oran, la capitale de l’ouest algérien réputée plus festive et ouverte. « Mais dans les années 1970-80, nous sortions du cinéma à minuit puis nous pouvions prendre un café en terrasse », se rappelle Hamid, 70 ans, attablé au Milk Bar, place de l’Emir Abdelkader.

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C’est pour retrouver cette ambiance que le maire, un enfant de la Casbah, élu en décembre dernier sur la liste du MPA (Mouvement populaire algérien, fondé par un ancien du Rassemblement pour la culture et la démocratie), pousse les Algérois à « reprendre possession de l’espace public ». Un message qui, jusque-là, a été surtout entendu par le monde associatif.

Pour le maire, les Algérois doivent "reprendre possession de l’espace public."

Une démarche pédagogique

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En mai dernier, Abdelhakim Bettache a d’abord convaincu les commerçants de redonner leur cachet haussmannien aux principaux axes du centre d’Alger. Durant les années 1990, dans l’anarchie, les façades se sont alourdies de barreaux de protection et autres portes blindées « qui agressent les passants et les laissent penser que l’insécurité est encore là. »

Un courrier envoyé par le wali d’Alger (préfet) a tracé les grandes lignes des modifications demandées, la mairie poussant également les restaurateurs à se débarrasser de leur mobilier en plastique et à s’équiper de l’Internet en wifi. Aucune aide financière n’a été offerte aux propriétaires comme aux locataires, ce qui a fait grincer quelques dents. Mais « aucune mise en demeure n’a été effectuée », précise le maire, insistant sur le caractère pédagogique de sa démarche.

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Vitrine de la capitale et donc du pays, la mairie d’Alger centre a ensuite invité les restaurants et cafés à ouvrir jusqu’à minuit au minimum, de même que les cinémas, plus prompts à programmer leurs dernières séances entre 17H00 et 20H00. Depuis quelques jours, elle donne elle-même l’exemple en ouvrant son service d’état-civil jusqu’à 23h00. « C’est ce que nous faisons depuis un an, et la clientèle suit », indique le gérant de la cafétéria « À la bonne heure », place Audin, dont la terrasse, rénovée et équipée de wifi, ne désemplit pas.

En face, le patron du café-restaurant Studio 34, prisé en journée, est plus dubitatif. « Je vais essayer d’ouvrir jusqu’à 22 heures, mais les Algérois ont leurs habitudes, ils ne sortent pas au centre le soir, notamment les couples, et la clientèle expatriée se fait rare. » Il espère attirer plus de clients grâce à la terrasse que la mairie l’a autorisé à ouvrir sur un bout de trottoir.

Vie nocturne masculine

Outre le wali d’Alger, Abdelhakim Bettache peut compter sur l’appui de la politique gouvernementale. Le 26 juin, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a répété devant les walis du pays réunis en banlieue d’Alger que « créer de l’animation nocturne en respectant les mœurs de la société algérienne permettra aux citoyens de se divertir et par conséquent, de se libérer de toute frustration. » Question mœurs, justement, certains se plaignent de la rareté des bars restaurants habilités à servir de l’alcool, qui disparaissent les uns après les autres depuis quelques années, le plus souvent en raison de tracasseries administratives ou d’intimidations. Rien n’est prévu concernant ce sujet.

Dans une ville déjà quadrillée par les forces de l’ordre, les commerçants ont demandé au maire davantage de policiers visibles la nuit. Les effectifs ont cru récemment d’environ 30%, selon M. Bettache. Quant aux transports publics, les négociations sont en cours afin que les bus circulent jusqu’à une heure du matin. « Même avec plus d’activité, de sécurité et de transport, je ne crois pas que les filles vont sortir, les mentalités ne le permettent pas », estime une jeune étudiante. Le gérant du Studio 34 le confirme : « la journée, on voit des filles marcher à Alger centre. Mais la nuit, celles qui se baladent sont vues comme des extraterrestres. »

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>> À lire aussi : "Algérie : plongée au coeur du système"
 

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