Loi sur les hydrocarbures en Algérie : en 2002, déjà, le gouvernement a eu recours à un conseiller américain

Le gouvernement algérien vient de solliciter un cabinet américain pour l’aider à élaborer sa future législation sur les hydrocarbures. En 2002, déjà, Alger avait eu recours à l’Américain Robert W. Pleasant, mystérieux avocat qui a conseillé Chakib Khelil, alors ministre de l’Énergie, pour la coquette somme de 3 millions de dollars.

Le siège de Sonatrach, le géant pétrolier algérien, sur les hauteurs d’Alger. DR

Le siège de Sonatrach, le géant pétrolier algérien, sur les hauteurs d’Alger. DR

FARID-ALILAT_2024

Publié le 30 août 2013 Lecture : 9 minutes.

Le gouvernement algérien vient de solliciter le cabinet juridique américain « Curtis, Mallet-Prevost, Colt & Mosle » ainsi que d’autres cabinets pour l’assister dans l’élaboration de la nouvelle loi sur les hydrocarbures. Objectif : attirer les investisseurs étrangers qui boudent le pays en raison de sa législation jugée rigide.

Ce n’est pas la première fois. Au début des années 2000, la même démarche a été effectuée. Nommé en 1999 à la tête du ministère de l’Énergie, Chakib Khelil, éclaboussé plus tard par des scandales de corruption présumée liée à la gestion du groupe pétrolier Sonatrach, a lui aussi sollicité dès 2001 des compétences étrangères pour l’aider à élaborer une nouvelle loi sur les hydrocarbures.

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Sauf que cette loi qui a fait polémique n’a pas été réalisée par des cabinets américains. Le seul Américain à avoir travaillé dessus s’appelle Robert W. Pleasant. Jeune Afrique publiait en 2013 une enquête sur Robert W. Pleasant et son petit business en Algérie. Nous la republions ici : 

« Je n’ai rien à vous dire à ce sujet… » Lorsque Robert W. Pleasant a entendu les mots « journaliste » et « Sonatrach », il nous a aussitôt raccroché au nez et a placé son téléphone sur répondeur, avant de se mettre aux abonnés absents. Résidant dans la très chic Park Avenue, à New York, cet avocat américain a de bonnes raisons d’esquiver les questions embarrassantes, d’autant que son ami de longue date, Chakib Khelil, ex-ministre algérien de l’Énergie et des Mines, est désormais inculpé et recherché par la justice de son pays pour corruption, blanchiment d’argent, conclusion de contrats contraires à la réglementation, abus de pouvoir et constitution de bandes criminelles organisées. Jadis associé à la manne pétrolière algérienne, le nom de Chakib Khelil sent aujourd’hui le soufre.

À la tête d’un prétendu cabinet d’avocats et d’experts dénommé Pleasant & Associates, Robert W. Pleasant, 76 ans, a été recruté comme consultant entre 2002 et 2008 par le ministère de l’Énergie et la compagnie pétrolière Sonatrach. Présenté comme le principal artisan de la très controversée loi sur les hydrocarbures dite loi Khelil, adoptée par le Parlement en 2005 puis gelée par le président Abdelaziz Bouteflika, Pleasant est pourtant un illustre inconnu au barreau de New York. Son cabinet ne figure dans aucun registre de commerce aux États-Unis, et il semble bien qu’il soit le seul associé dans ce fantomatique Pleasant & Associates dont le siège véritable pourrait se trouver dans un paradis fiscal plutôt qu’au 1120 Park Avenue, à New York. Enfin, son nom ne figure dans aucun organigramme de la Banque mondiale, alors qu’il se présentait comme un expert auprès de cette institution lors de ses multiples passages en Algérie.

Les documents et les reçus de Robert W. Pleasant en Algérie. © Les reçus de Robert W. Pleasant. DR

Les documents et les reçus de Robert W. Pleasant en Algérie. © Les reçus de Robert W. Pleasant. DR

Les documents et les reçus de Robert W. Pleasant en Algérie. © Les reçus de Robert W. Pleasant DR

Les documents et les reçus de Robert W. Pleasant en Algérie. © Les reçus de Robert W. Pleasant DR

Dérives

Et pourtant. Selon des documents et des informations obtenus par J.A., les honoraires de Pleasant durant cette période se sont élevés à quelque 3 millions de dollars. Il aurait d’abord touché la coquette somme de 2 millions de dollars pour l’élaboration et le suivi de la fameuse loi sur les hydrocarbures pour le compte du ministère de l’Énergie, avant d’étendre la gamme de ses services à la compagnie pétrolière nationale. Des factures dont nous avons pris connaissance attestent ainsi que le « directeur central juridique » de Sonatrach a versé, entre 2004 et 2008, environ 1 million de dollars sur le compte de Robert W. Pleasant à la Chase Manhattan Bank de New York.

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Certes, à l’échelle des dizaines de milliards de dollars de contrats signés par Sonatrach au cours des dix dernières années, ces émoluments représentent une goutte dans un baril de pétrole. Certes encore, la justice algérienne ne s’intéresse pas, du moins pas pour l’instant, aux affaires de Robert W. Pleasant, mais le cas de cet avocat new-yorkais intrigue autant qu’il illustre les dérives de la gestion de Sonatrach durant l’ère Chakib Khelil. Pourquoi donc le ministère de l’Énergie a-t-il recouru aux services de cet expert pour l’élaboration puis le suivi de cette fameuse loi sur les hydrocarbures alors que Pleasant & Associates n’a pas d’existence légale, ni même de site internet ? Comment le géant pétrolier algérien a-t-il pu le solliciter pour intervenir sur des contrats faramineux et des textes de loi hautement stratégiques alors que la carte de visite et les références internationales de cet expert sont pour le moins sujettes à caution ?

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« Robert W. Pleasant est un ami de Chakib Khelil à qui il rendait compte directement, explique un ancien dirigeant de Sonatrach sous le couvert de l’anonymat. Jamais je n’ai eu de séance de travail en tête à tête avec lui durant toutes les années où il intervenait comme consultant. Pleasant était le seul expert étranger que Khelil avait ramené dans ses bagages et imposé au ministère et dans notre compagnie. » Un autre cadre de la firme n’en dit pas moins : « Bob recevait ses instructions de Khelil et de personne d’autre. D’ailleurs, il ne faisait pas mystère de son amitié avec l’ex-ministre. »

L'ancien ministre de l'Énergie algérien, Chakib Khelil. © Hans Punz/AP/SIPA

L'ancien ministre de l'Énergie algérien, Chakib Khelil. © Hans Punz/AP/SIPA

Grand train

Arrivé des États-Unis au lendemain de l’élection de son ami Bouteflika, Chakib Khelil est nommé ministre de l’Énergie et des Mines en décembre 1999. Docteur en ingénierie pétrolière à l’université du Texas, il nourrissait de grandes ambitions pour son pays : réformer le secteur des hydrocarbures et faire de l’Algérie un grand producteur et exportateur de pétrole et de gaz, qui constituent 98 % des ressources en devises du pays. Pour mener à terme son projet, il décide de confectionner une nouvelle loi sur le pétrole et le gaz afin d’ouvrir davantage ce marché à la concurrence internationale. Khelil sollicite alors l’assistance technique de la Banque mondiale, qui accordera, en mars 2001, un prêt de 22 millions de dollars au gouvernement algérien. Mais plutôt que d’engager de grands cabinets internationaux, notre ministre s’attache les services de son vieil ami Robert W. Pleasant, qu’il a rencontré lorsqu’il dirigeait le département énergie pour l’Amérique au sein de la Banque mondiale au début des années 1980.

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Voyages en première classe, suite au Sheraton ou au Sofitel, Pleasant mène grand train lors de ses passages en Algérie, où il se rend régulièrement à partir de 2002 pour superviser l’élaboration de la loi. Au siège de Sonatrach ou au ministère de l’Énergie, ce wasp (White Anglo-Saxon Protestant) un peu rondelet donne son avis sur tout. Au point qu’un document intitulé « Proposed Principles of New Hydrocarbons Law » et portant la signature de « Pleasant & Associates, New York » sera officiellement présenté par Sonatrach en 2003. « Chakib Khelil l’avait imposé au groupe de travail constitué exclusivement d’Algériens, se souvient un ex-patron de la compagnie. Avait-il les compétences pour
superviser une loi aussi sensible ? Je ne saurais le dire, mais le ministre lui faisait une confiance totale car, selon les confidences de l’Américain, les deux hommes avaient collaboré lors de la privatisation du secteur de l’énergie au Pérou, au Venezuela, en Argentine et au Brésil, avec le succès que l’on sait. »

Non seulement Robert Pleasant ignorait tout de l’Algérie, mais il était incapable de faire la distinction entre une tête de puits de pétrole et un manche à balai, assure un retraité de Sonatrach qui a contribué à la rédaction du texte de loi. « Quand nous n’étions pas d’accord avec l’un de ses avis ou quand l’une de ses recommandations n’était pas suivie, il s’arrangeait toujours pour l’imposer via une intervention de Chakib Khelil. Sur ce projet, comme sur d’autres d’ailleurs, Robert Pleasant était l’éminence grise de l’ancien ministre. » Les deux millions de dollars que le cabinet Pleasant & Associates a touchés ont probablement été ponctionnés sur le prêt de la Banque mondiale. Un ancien dirigeant de Sonatrach refuse de nous confirmer la somme, mais juge le montant « probable ». Sollicité, le département de communication de la compagnie nationale s’est dit ne pas être en mesure de nous répondre.

Omniprésent

Bien que la loi confectionnée par Pleasant & Associates ait été gelée dès 2003, après avoir été farouchement combattue par les détracteurs de Chakib Khelil – lequel était accusé d’être à la solde des lobbies pétroliers texans et soupçonné de vouloir livrer le sous-sol algérien aux compagnies américaines -, Pleasant n’en continuera pas moins d’exercer ses talents d’expert auprès de Sonatrach. C’est ainsi qu’entre 2004 et 2008 il effectue de nombreux séjours en Algérie, quand il n’intervient pas depuis son domicile de Park Avenue. Toujours adoubé par son ami Khelil, Pleasant est sollicité sur les contrats de pétrole et de gaz, sur les projets d’usines de dessalement, sur les négociations entre Sonatrach et ses partenaires étrangers, voire sur les amendements apportés en 2006 à la nouvelle loi sur les hydrocarbures. Son expertise s’étendait en somme à tous les domaines, et ses frais étaient remboursés au centime près, jusqu’au timbre-poste de 4,50 dollars. Au final, Robert W. Pleasant aura perçu presque 3 millions de dollars de Sonatrach et du ministère de l’Énergie avant de regagner son domicile new-yorkais, où il ne veut en aucun cas être dérangé.

Khelil Connection

Visés par des mandats d’arrêt internationaux délivrés début août par Alger dans le cadre du scandale de corruption dit Sonatrach 2, Chakib Khelil, son épouse et leurs deux enfants se trouveraient actuellement aux États-Unis. Prudent, l’ex-ministre a soigneusement évité de se rendre à Oran pour l’enterrement de sa mère, décédée en mai. Peu de temps après l’annonce de l’action judiciaire intentée contre sa famille, Khelil a répliqué dans la presse avant de se mettre au vert. Aujourd’hui, le téléphone de son domicile à Washington sonne dans le vide.

Jouissant du statut de résident aux États-Unis depuis 1959, Khelil possède notamment trois propriétés dans l’État du Maryland, acquises entre juin 2007 et juillet 2008 pour 2,1 millions de dollars, quand il était encore au gouvernement. L’une de ses résidences avait été achetée avec son ami Omar Habour, un homme d’affaires soupçonné par la justice italienne d’avoir touché des commissions dans l’affaire Sonatrach.

Contrairement à son épouse, Najat Arafat, et à ses deux fils, Sina et Khaldoun, Khelil ne possède pas la nationalité américaine. Et pourrait donc être extradé au cas où l’Algérie en ferait la demande en vertu d’un traité d’entraide judiciaire entre Alger et Washington ratifié en avril 2010. Mais de là à envisager qu’il puisse bientôt croupir à la prison de Serkadji, il y a loin de la coupe aux lèvres.

Femme de tête

Quid de son épouse et de ses enfants, inconnus du grand public et dont l’inculpation a surpris ? Selon Khelil, ils ne sont mêlés ni de près ni de loin à l’affaire Sonatrach, ses deux fils connaissant même parfois des fins de mois difficiles. Pourtant, selon nos informations, Najat accompagnait fréquemment son mari dans ses déplacements à l’époque où il dirigeait le ministère de l’Énergie. « Elle était de tous les voyages, se souvient un ex-collaborateur de Khelil. Quand elle n’était pas en Algérie, elle s’arrangeait pour le rejoindre là où il se trouvait à l’étranger. On se demandait d’ailleurs qui prenait en charge ses billets d’avions. » Un ancien ministre affirme que Najat exerçait un ascendant sur son mari et assistait aux réunions de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Un cadre de Sonatrach assure, lui, que « madame » supervisait certains projets en Algérie, notamment la rénovation du siège de Sonatrach à Alger ou la construction du Sonatrach Petroleum Club à Zeralda, à l’ouest de la capitale. Quant à Sina, l’un des deux fils du couple, il est actionnaire de plusieurs entreprises aux États-Unis. L’une d’entre elles, New Perspektive LLC, basée à Chypre et à Londres et spécialisée dans la vente internationale du pétrole et du gaz, est liée par un partenariat à… Sonatrach.

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