La fin de l’argent bon marché inquiète les pays africains
Le possible changement de politique de la Réserve fédérale américaine qui, depuis la crise de 2008, achète massivement des actifs pour injecter des liquidités dans l’économie américaine, inquiète les pays africains. Ces dernier voient déjà les capitaux internationaux se retirer.
Depuis la crise de 2008, la politique monétaire accommodante des États-Unis, dite quantitative easing, a largement profité aux économies émergentes. Bien sûr, leur but n’était pas d’inciter les investisseurs à découvrir le potentiel de l’Afrique. C’est pour soutenir son économie et éviter une crise de la dette que la Réserve fédérale américaine (FED) a fait tourner la planche à billets dans des proportions inédites, maintenant les taux d’intérêt à un niveau extrêmement bas et rachetant à tour de bras des actifs pour quelque 85 milliards de dollars (63,6 milliards d’euros) chaque mois.
Mais cette politique a eu des effets collatéraux inespérés pour les pays africains. Premier avantage, leurs monnaies ont gagné de la valeur par rapport au billet vert, diminuant d’autant le coût des importations – un coup de pouce précieux pour nombre de pays à la balance commerciale déficitaire. Surtout, d’énormes liquidités se sont trouvées disponibles, alors même que les rendements dans les pays développés étaient au plus bas. Ces capitaux se sont donc naturellement dirigés vers les économies émergentes, plus rémunératrices. Nombre de pays africains ont ainsi pu se financer à moindre coût, et l’on a vu les émissions obligataires fleurir au sud du Sahara. Depuis 2007, près de 8 milliards de dollars ont été levés dans cette zone, hors Afrique du Sud. Rien qu’en 2013, le Nigeria a emprunté 1 milliard de dollars, le Ghana 750 millions, la Tanzanie 600 millions et le Rwanda 400 millions.
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Las, les meilleures choses ont une fin, et le changement annoncé de politique monétaire aux États-Unis pourrait bien sonner la fin de cette période bénie d’argent facile et bon marché. En mai, la FED a une première fois indiqué qu’elle pourrait mettre fin aux injections massives de liquidités destinées à soutenir la croissance américaine. Depuis, les investisseurs scrutent le moindre signe annonciateur d’une reprise qui signerait le début de la fin de « l’assouplissement quantitatif ».
Jusqu’ici, ni date ni calendrier n’ont été fermement avancés, et la fermeture du robinet de liquidités ne se fera pas immédiatement ni de manière brutale. Mais les investisseurs ont compris que la fête serait bientôt finie et commencé à rapatrier leurs capitaux vers les États-Unis, où le dollar s’est déjà considérablement renforcé. Pour les pays africains, cela pourrait entraîner la mise en place d’un cercle vicieux de renchérissement de la dette et des importations (notamment énergétiques), de dépréciation de la monnaie, de tarissement du crédit et de poussées inflationnistes. Un potentiel cauchemar.
Pour Angus Downie, le directeur de la recherche économique d’Ecobank, deux mouvements opposés sont actuellement à l’oeuvre. « Les rendements de certains titres souverains africains ont déjà subi une poussée à la hausse, ce qui renforce les monnaies de ces pays. Cependant, la hausse des rendements américains conduit à la fuite des capitaux d’Afrique et, par conséquent, affaiblit les monnaies. »
Au rang des pays dont les devises flanchent, on trouve notamment l’Afrique du Sud, dont la monnaie a perdu près d’un cinquième de sa valeur par rapport au dollar depuis janvier. Le 28 août, le taux de change était de 10,4 rands pour 1 dollar, le plus bas niveau depuis quatre ans. Le ministre sud-africain des Finances, Pravin Gordhan, s’était d’ailleurs fendu d’une déclaration acerbe en juin à destination des États-Unis : « Gérez vos affaires intérieures et les affaires internationales de manière responsable, afin que les effets négatifs sur nos économies ne soient pas aussi graves. »
Outre l’Afrique du Sud, les craintes de dépréciation sont réelles pour d’autres grandes économies du continent, notamment le Kenya et le Nigeria, même si pour l’instant la stabilité prévaut. Une stabilité coûteuse : la Banque centrale du Nigeria a dépensé des milliards de dollars de réserve de change ces deux derniers mois pour maintenir le naira dans sa zone de fluctuation (- 3 % autour de la barre des 155 nairas pour 1 dollar).
Réfléchir
Du côté des dettes souveraines, les premiers nuages sont également apparus dans le ciel africain. Le Ghana, qui a réussi la deuxième émission obligataire de son histoire en juillet, empruntant 750 millions de dollars sur dix ans, a dû accepter un taux de 8 %, alors que les obligations mises en vente lors de la précédente opération, qui arrivent à échéance en 2017, s’échangeaient en avril à 4,24 % et encore autour de 6 % au moment même de la deuxième émission. Même tendance au Nigeria, où les taux consentis lors de la récente émission obligataire de 1 milliard de dollars (autour de 7 %) sont bien supérieurs à ce qu’ils auraient pu être il y a encore quelques mois. Le Sénégal, qui avait prévu d’émettre un nouvel emprunt international en octobre pour 500 millions de dollars, va peut-être devoir y réfléchir à deux fois.
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