Maroc : Fès, creuset des cultures du monde

Depuis 19 ans, la ville de Fès vibre une fois par an, pendant 8 jours, aux sonorités des musiques du monde. Des chants de la griotte mauritanienne Coumbane Mint Ely Warakane aux chants classiques d’Inde du Nord, en passant par les volutes électoniques de DJ click, reportage au coeur de la cité fassie.  

La scène de Bab Makina. © Nicolas Michel

La scène de Bab Makina. © Nicolas Michel

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Publié le 11 juin 2013 Lecture : 3 minutes.

Marcher dans Fès, ces derniers jours, c’est un peu se prendre pour un géant aux immenses enjambées. En Mauritanie à 16 heures, en Andalousie à 21 heures et quelque part au bord du Nil plus tard le soir, le tout en profitant des charmes d’une ville qui sait à quel moment se dévoiler et à quel moment rester secrète. Le Festival de Fès des musiques sacrées du monde offre ce privilège grisant : voyager en restant sur place, ou presque, d’une ambiance à une autre, d’une couleur à une autre et, bien entendu, d’une religion à une autre.

Tout peut commencer, par exemple, au milieu de l’après-midi, à cette heure où le soleil décide d’être un peu plus tendre avec la peau et les yeux, mais où l’ombre d’un arbre, d’une voûte, s’avère encore nécessaire. Le Musée Batha et son chêne vert plusieurs fois centenaire ouvre alors ses coursives et son jardin peuplé de jacarandas, d’orangers, de bambous… Hier, c’était une porte béante vers la Mauritanie, grâce aux chants de la griotte Coumbane Mint Ely Warakane. Et aujourd’hui, ce palais érigé par Moulay Hassan, qui servait aux audiences royales durant le séjour estival, invite à s’échapper vers le Liban. Drapée de rouge, visiblement portée par sa foi, la brune Abeer Nehme offre sa voix claire et puissante aux chants issus des diverses traditions chrétiennes, puisant dans les répertoires maronite, byzantin ou syriaques. Les frontières s’effacent un moment, comme le temps qui passe : Abeer Nehme chante aussi en araméen, la langue du Christ…

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© Nicolas Michel/J.A.

Deux heures plus tard, le soleil est devenu caressant et les jardins Jnan Sbil proposent un agréable détour vers Bab Al Makina, l’accès principal au Palais Royal, enflammé la nuit précédente par le flamenco du guitariste espagnol Paco de Lucia. Entre les eucalyptus géants et les orangers, l’école nationale du cirque Shems’y de Salé organise une procession païenne, ponctuée d’acrobaties qui réjouissent les familles et les adolescents errant à cette heure sous les frondaisons.

Quand l’orange devient la norme, passé 19 heures, il faut déambuler sous les hauts murs de Bal Al Makina, arpenter l’immense place Boujloud où des musiciens, déjà, opèrent leurs derniers réglages, vaguement ignorés par les vendeurs à la sauvette, tandis que des groupes se forment ici et là et que les hirondelles – ou bien les martinets ? – s’agitent furieusement, à le recherche d’insectes qu’elles rapporteront dans leurs nids de murailles. Plus tard, quand il fera nuit, la musique des hommes prendra le pas sur les cris des oiseaux.

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Dans les dernières bribes de soleil, un repas s’impose – si possible en hauteur, vue panoramique sur les toits de la médina. Siroter un jus d’avocat, manger un tajine et se perdre dans les ruelles étroites où l’activité reste dense, pour quelques heures encore.

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© Nicolas Michel/J.A.

Paix et partage

Ensuite, retrouver la musique dans des lieux empreints de magie et d’histoire. Ainsi, l’ancienne résidence du gouverneur de Fès à l’époque de Moulay Abdellah, Dar Adiyel, accueille Pandit Shyam Sundar Goswani, venu d’Inde du Nord, et les chants classiques khyal. Éclairée de rouge, cette bâtisse du XVIIIème siècle qui sert aujourd’hui de conservatoire de musique traditionnelle héritée de l’Andalousie médiévale, est un écrin parfait pour la voix enveloppante du Bengali. Mais à quelques pas de là, une toute autre ambiance anime Dar Mokri, palais construit au début du Xxème siècle par Driss Moqri, Mohtassib de Fès. Là, l’ensemble Lynnaj-Bélé de Martinique rend hommage au poète Aimé Césaire dont on s’apprête à fêter le centenaire de la naissance…

© Nicolas Michel/J.A.

Quand ces lieux ferment leurs portes, la nuit est loin d’être terminée, même si les nombreux policiers placés en faction à tous les coins de rues à l’occasion du festival pressent gentiment les spectateurs vers la sortie afin de pouvoir aller se coucher. Se coucher ? Pas encore. Dar Tazi, palais du début du XXème siècle, reçoit dans ses jardins, en plein air, différentes confréries soufies pour des concerts Samaâ en plein air, tandis que la place Bab Boujloud s’anime elle aussi, pour des rencontres autour de musique plus populaires. À DJ Click peuvent ainsi succéder Ali Alaoui (Maroc), les Lady Smith Red Lions (Afrique du Sud), Nass el Ghiwan ou Dominique A. Instants de paix et de partage éphémères peut-être, mais au moins jusqu’au 15 juin, Fès accroît sa beauté en devenant un creuset de cultures. À une époque de forts replis identitaires, c’est sans doute peu, mais c’est déjà beaucoup.

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Nicolas Michel, envoyé spécial à Fès

Jeune Afrique est partenaire du Festival de Fès des musiques sacrées du monde.
 

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