Côte d’Ivoire – Me Altit : « Rien ne justifie la détention de Laurent Gbagbo »
La Cour pénale internationale (CPI) a estimé, le 3 juin, ne pas disposer de suffisamment d’éléments de preuves de la part du procureur pour décider de l’ouverture d’un procès contre l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo. Une décision qui sonne comme une victoire pour son avocat, Emmanuel Altit, qui devrait prochainement soumettre une nouvelle demande de mise en liberté provisoire pour son client.
Jeune Afrique : quelle est votre interprétation de la décision des juges de la chambre préliminaire I de la CPI ?
Me Emmanuel Altit : Les juges ont considéré que le procureur n’apportait aucun élément probant, que ceux-ci étaient contradictoires, non vérifiables et n’atteignaient pas le seuil de crédibilité exigé pour être pris en considération et justifier la tenue d’un procès. La chambre, suivant nos arguments, note « avec grande inquiétude que le procureur s’est surtout appuyé sur des rapports d’ONG et des articles de presse (…) et que de tels éléments ne peuvent en aucun cas être présentés comme le fruit d’une véritable enquête ».
Cela a une conséquence capitale puisque son argumentation n’est, d’une certaine manière, que la reprise sous forme juridique du « narratif » politique ayant permis de diaboliser le président Gbagbo pour légitimer la prise de pouvoir d’Alassane Ouattara. Cette version de l’histoire de la Côte d’Ivoire, fabriquée pour les besoins de la cause par les représentants de certaines grandes puissances, est donc remise en question.
Comment Laurent Gbagbo a-t-il accueilli cette décision ?
Nous avons analysé la décision ensemble. Le président Gbagbo est satisfait de constater que les juges ont été sensibles aux arguments de la défense. Il est serein car il s’agit d’un succès significatif sur le chemin de la vérité. Notre action relève d’un long combat pour restituer à la Côte d’Ivoire son histoire.
Comment va-t-il ?
Compte-tenu des circonstances, aussi bien que possible pour quelqu’un qui en est à sa deuxième année d’incarcération, après avoir connu pendant huit mois en Côte d’Ivoire une séquestration inhumaine, au vu et au su des observateurs internationaux.
>> Lire : Laurent Gbagbo à la CPI, son quotidien en prison
Une des trois juges, la présidente de la chambre préliminaire I, l’Argentine Silvia Fernández de Gurmendi, estime que le niveau de preuve présenté par le procureur est suffisant. Comment interprétez-vous son opinion dissidente ?
Je ne peux faire de commentaire sur l’opinion dissidente. Concernant la décision, les juges n’ont autorisé le procureur à présenter de nouveaux arguments qu’à condition qu’il les structure et les étaie de façon différente et plus convaincante.
Allez-vous redéposer une demande de mise en liberté provisoire pour votre client ?
Comme toute personne mise en cause, mon client est présumé innocent. De plus, les charges n’ont pas été confirmées. Donc rien ne justifie son maintien en détention. Et le fait que le procureur continue à enquêter ne doit en aucun cas jouer sur la possibilité pour la défense de demander une mise en liberté provisoire.
Plusieurs pays désireux d’accueillir le président Gbagbo ont été mentionnés dans la presse, notamment l’Ouganda. Est-ce toujours une possibilité eu égard aux positions très dures affichées par le président Museveni à l’égard de la CPI ?
Une décision de mise en liberté ne dépend pas des déclarations des uns ou des autres. Les juges se prononcent en fonction de critères objectifs dans le cadre d’une situation donnée.
En travaillant à décrédibiliser le travail du procureur et en médiatisant cette affaire, n’avez-vous pas l’impression de participer au travail de dénigrement de la CPI que vous avez pourtant aidée à mettre en place ?
Il est important de distinguer la ligne de conduite du bureau du procureur, qui agit comme avocat de l’accusation, et le travail de justice auquel s’astreignent sans relâche les juges de la CPI. Le procureur est libre d’enquêter et de poursuivre comme il l’entend. Pour que le système soit équilibré et fonctionne, il doit trouver face à lui un avocat de la défense doté des mêmes prérogatives et moyens procéduraux. C’est le principe d’égalité des armes. En pointant les faiblesses de l’accusation, nous permettons la tenue d’un véritable débat et donnons aux juges les moyens de prendre des décisions suffisamment éclairées. Nous participons donc tous à cette œuvre de justice nécessaire à l’établissement d’une société juste, pacifiée et démocratique
Comment la CPI peut-elle améliorer son image au niveau international ?
La CPI a-t-elle besoin d’améliorer son image ? Une cour est crédible lorsque les juges font la preuve de leur indépendance. Les juges ont, dans notre affaire, donné de leur cour une image forte.
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Propos recueillis à Paris par Pascal Airault
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