L’esprit Mandela, ce qu’il en restera ?

Kangni Alem est un romancier et dramaturge togolais. Dernier roman paru : « Esclaves », JC Lattès, 2009.

Publié le 10 juin 2013 Lecture : 4 minutes.

Enfin c’est grave, dit-on ! Mandela est encore hospitalisé. Les autres fois, ce n’était jamais grave. Évidemment, les symboles ne souffrent pas, donc ne sauraient tomber « gravement » malades. Conséquence, ce qui est grave à présent n’est pas toujours la maladie, chose bizarre à appréhender, mais la circonstance elle-même : celle de la possibilité que l’on annonce enfin au monde que le symbole s’en est allé.

Mais le choc de ce décès, a priori planétaire, ne sera que la victoire logique de la force du symbole et la conclusion attendue depuis des décennies, depuis que le père de l’indépendance sud-africaine s’est retiré de la vie politique publique. Tout ce qu’on dira plus tard, en bien ou en mal du héros, en rajoutera à ses qualités et défauts, toutes choses en réalité qui ont fait de lui le révolutionnaire, le fin négociateur, le politique réaliste qui a abdiqué à temps, pour laisser une autre génération de politiciens sud-africains conduire le pays vers son dur destin de pays libéré certes, mais à l’héritage historique très handicapant.

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L’héritage sera ausculté, à sa juste mesure, je n’en doute point. Ce qui a suivi le règne de Mandela, politiquement parlant, mérite analyse, localement, mais aussi continentalement. Je veux dire : y a-t-il eu ou peut-il avoir un effet « esprit Mandela » sur nos comportements sur le plan continental, en lien direct avec nos positionnements vis-à vis des puissances qui nous ont toujours imposé leur lecture de l’Histoire et tenté de forger nos destins?

Lors de la bataille pour la présidence de l’Union Africaine, j’ai observé, faussement détaché, la rude manœuvre de la diplomatie sud-africaine. Pretoria a tout tenté depuis janvier 2012. Campagne de presse, faux atermoiements, discours musclés en public et démarchage feutré dans les coulisses pour rallier le maximum de pays francophones à la cause d’une présidence par le pays de Mandela (quand même, Mandela, hein, c’est notre père à tous non?). Et Pretoria a fini par gagner, au mépris de toutes les règles longtemps respectées, en s’imposant à la tête de la Commission de l’Union Africaine.

Il est évident que l’esprit « unitaire » qui a longtemps dominé les sphères de l’institution, depuis les grandes heures de l’OUA, n’a pas toujours été un esprit de dissidence. Même l’épisode contestable de l’autonomie de la RASD, imputé à l’un de ses secrétaires généraux, le charismatique Edem Kodjo, est devenu un sujet de division, et ce qui aurait pu être un fait de gloire est devenu un regret et pour Kodjo lui-même et un sujet de malaise pour les dirigeants africains. Or, ce qui se jouait dans l’affaire de la RASD, c’était la délicate question des frontières coloniales et des partages territoriaux, question que l’Érythrée, le Soudan… ont remis au goût du jour récemment. Questions qui hantent tous les pays africains, de plus en plus sujets à l’appauvrissement de leurs terres, aux questions de débouchés économiques, etc.

L’esprit Mandela serait donc celui-là, totalement décomplexé face aux puissances occidentales, et un brin méprisant face à nos cuisines francophones !

J’ai donc vu la diplomatie sud-africaine à la manœuvre, et observé la fierté et le panache de certaines déclarations d’une Union Africaine largement sud-africanisée ! L’esprit Mandela serait donc celui-là, totalement décomplexé face aux puissances occidentales, et un brin méprisant face à nos cuisines francophones ! Et l’affaire Kadhafi a vite fait de nous en donner la mesure. Certes, le jeu est parfois chaotique, comme on l’a vu en Centrafrique, mais il y a aussi le droit d’un grand pays à soutenir pour raisons économiques un allié quitte à perdre le pari, et les contraintes d’une Commission engluée dans les réalités de la gestion des crises politiques en Afrique !

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L’esprit Mandela ne récuse pas le choix libéral : je n’irai pas au Mali, aux côtés de la France, parce que mon pays n’a rien à y gagner après la guerre. Et mieux, je crie sur tous les toits, depuis mon perchoir de la Commission de l’Union Africaine, que les Africains auraient pu faire le job eux-mêmes, même s’ils saluent l’intervention française au Mali, du bout des lèvres! L’esprit Mandela c’est aussi cela, le sens de la provocation, et le "même pas peur" du ridicule ! Il est prêt à dégainer contre le bon sens, puisque le bon sens selon cet esprit-là a une histoire, écrite par les autres, une histoire orientée du bon sens en somme, comme Foucault et plus tard Chavez parlaient de l’ordre du discours ! Et Chavez admirait Mandela, Foucault, je ne sais pas !

Bref, et pour en revenir à Mandela, j’observe qu’il a été juriste et je songe à ce qu’il a pensé des dernières déclarations de notre Commission sud-africanisée ! Son esprit souffle-t-il dans cette contestation ouverte de la CPI ? Kenyatta, Gbagbo, la Commission est à cran, et souffle le chaud et le froid, à tel point que parfois, l’opinion en ressent une sorte de peur panique. Jusqu’où peut-elle aller, quelles suites politiques peut-elle donner à ses prises de position pour le moins iconoclastes, aux yeux mêmes de certains dirigeants du continent soucieux de realpolitik ? Voilà le monde que laisse derrière lui le célèbre matricule 46664.

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De l’esprit Mandela et de ce qu’il en restera, je sonde les brumes du côté de la Commission de l’Union Africaine prise en otage par ses enfants décomplexés ! Personne ne sait où l’esprit des descendants mènera le continent, mais par-delà rodomontades et invention d’une image de soi, il reste que politiquement l’Afrique du Sud pourrait bien nous bousculer dans nos petitesses. Il ne faut jamais désespérer.

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