Burundi : une loi sur la presse « digne des régimes dictatoriaux »
Le président burundais, Pierre Nkurunziza, a promulgué une loi encadrant la liberté de la presse dans son pays. Restriction de la protection des sources, peines d’amendes et de prison pour avoir mentionné des sujets « sensibles », Alexandre Niyungeko, président de l’union burundaise des journalistes s’inquiète pour l’avenir de la presse.
Au Burundi, la liberté de la presse est remise en cause par la promulgation d’une nouvelle loi mardi 4 juin. À la surprise d’un grand nombre d’observateurs, le président Pierre Nkurunziza a promulgué cette loi pourtant très critiquée depuis son adoption au Parlement en mai dernier.
Jugée « liberticide » par la société civile, ce texte prévoit la restriction de la protection des sources, des peines allant de l’amende à la prison pour les journalistes qui ne respecteraient pas les sujets considérés comme « sensibles » par le gouvernement… Un tour de vis pour la presse qui s’inscrit dans un contexte plus large de mise sous silence des voix dissidentes au Burundi, à deux ans des élections générales.
Alexandre Niyungeko, président de l’union burundaise des journalistes critique vivement cette situation et dénonce des pratiques autoritaires.
Jeune Afrique : Comment accueillez-vous la nouvelle de la promulgation de cette loi ?
Alexandre Niyungeko : C’est vraiment très regrettable, cette nouvelle est un coup de massue. C’est une loi rétrograde et répressive. On ne s’attendait pas à ce que le président promulgue ce texte digne des régimes dictatoriaux rendant la situation pire que lorsque le pouvoir militaire dirigeait le Burundi.
Qu’est-ce que cette loi change dans la vie professionnelle des journalistes burundais ?
Désormais, les journalistes pourront être conduits devant la justice pour révéler leurs sources. Ce qui signifie que le gouvernement pourra intervenir à chaque fois qu’il le voudra. Cette loi interdit aussi aux journalistes de parler de sujets « sensibles ». Par exemple, une clause leur interdit de parler de ce qui pourrait porter atteinte à l’économie de l’État. Or ces derniers temps, les médias ont révélés de nombreux scandales et des affaires de corruption. La presse a, par exemple, révélé récemment que l’argent de la vente d’un Falcon 50 par le pouvoir aurait été utilisé pour financer la campagne de 2010.
Le pouvoir est resté sourd aux différents appels lancés par l’Union européenne et par les États-Unis.
Comment comptez-vous réagir ?
L’union burundaise des journalistes va attaquer cette loi devant la Cour constitutionnelle. Mais celle-ci étant composée de personnes nommées par le président, nos chances de succès sont minces. Nous allons aussi saisir la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que le Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Car cette loi est anticonstitutionnelle, elle remet en cause la liberté d’expression et la liberté de la presse assurée par la constitution de 2005. Nous attendons un appui de ces institutions car le pouvoir est resté sourd aux différents appels lancés par l’Union européenne et par les États-Unis.
Êtes-vous inquiet pour l’avenir de la presse ?
Oui car les amendes peuvent aller jusqu’à 8 millions de francs burundais ce qui représente 6 000 dollars, alors que le salaire moyen d’un journaliste au Burundi est de 150 dollars. Les journalistes qui ne paieront pas seront envoyés en prison… Et je crains d’ailleurs que beaucoup de journalistes soient incarcérés, parce qu’ils ils n’obtempéreront pas, du moins je l’espère. Sinon ce serait la fin de la liberté de la presse.
Certains avancent que la presse a été trop loin…
La loi de 2003 assure toute latitude aux journalistes. Ils n’ont fait que leur métier. Le pouvoir se prépare pour n’avoir aucun obstacle en 2015. Et ce n’est pas seulement cette loi sur la presse qui pose problème. La société civile est elle aussi visée par des mesures : une loi est en ce moment en discussion au Parlement, pour exiger l’autorisation préalable des autorités pour l’organisation de manifestations publiques… Quant à l’opposition, elle est en difficulté depuis 2010.
Quelles sont les réactions au Burundi face à ce texte ?
Il y a déjà une pétition qui a recueilli plus de 11 000 signatures ; c’est la première fois qu’on use de ce moyen d’expression dans le pays. C’est une grande fierté pour moi de voir que les gens comprennent que cette loi pose problème car elle ne concerne pas seulement les journalistes. Elle met aussi en danger les sources.
Vous êtes en ce moment à Dublin en Irlande où vous participez au Congrès mondial de la fédération internationale des journalistes. Allez-vous y évoquer le cas du Burundi ?
Oui, bien sûr. Je vais présenter une motion d’urgence pour condamner cette loi qui sera étudiée demain. J’espère que j’aurai l’appui de mes confrères. Déjà les syndicats français, britanniques et belges m’ont apporté leur soutien.
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Propos recueillis par Charlotte Cosset
>> Le texte de loi sur le site de la présidence burundaise
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