Manifestations en Turquie : Erdogan confronté à une contestation populaire croissante
La mobilisation contre le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan ne faiblit pas et continue à rassembler des milliers de personnes à travers toute la Turquie. Lundi 3 juin, un jeune homme de 22 ans est mort après avoir été grièvement blessé par balle lors d’une manifestation dans le sud du pays.
Une deuxième personne a trouvé la mort en Turquie lors de protestations contre le gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan. Lundi soir, un jeune manifestant de 22 ans est décédé de ses blessures par balles dans un hôpital de la province de Hatay, près de la frontière syrienne. « Abdullah Comert a été grièvement blessé (…) par des coups de feu tirés par une personne non identifiée », a indiqué la télévision NTV citant un communiqué du gouvernement local de cette province. De son côté, la police a ouvert une enquête sur les circonstances de la mort du jeune homme.
La mort d’une première personne en liaison avec les troubles avait été signalée un peu plus tôt par l’Union des médecins turcs : il s’agit du décès d’un autre jeune homme, tué dimanche soir à Istanbul par une voiture ayant percuté la foule. Signe de l’aggravation du mécontentement populaire, l’une des plus importantes confédérations syndicales turques a appelé à une grève de deux jours à partir de mardi pour dénoncer le recours à la « terreur » par l’État contre les contestataires.
À Ankara, la police a dispersé lundi soir à l’aide de gaz lacrymogènes et de canons à eau des groupes hostiles au gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. De son côté, le Premier ministre turc a nié toute dérive autoritaire et rejeté l’idée d’un « printemps turc », assurant même depuis le Maroc, où il était en déplacement, que la situation était en voie d’apaisement dans son pays.
Violente confrontation
Assurant l’intérim en l’absence du chef du gouvernement, le vice-Premier ministre Bülent Arinç doit donner mardi une conférence de presse à 09h00 GMT sur ces événements sans précédent. Il a prôné lundi les vertus du dialogue « plutôt que de tirer du gaz sur des gens ».
Lundi soir, dans le quartier de Kavaklidere d’Ankara, les unités anti-émeutes ont tiré des balles en caoutchouc en direction des contestataires, pour la plupart des jeunes, qui les ont attaquées à coups de pierres, selon la chaîne de télévision CNN-Türk. À Istanbul, les policiers ont tiré plusieurs dizaines de grenades de gaz lacrymogène pour déloger du quartier de Gümüssuyu (rive européenne) quelque 500 manifestants qui y avaient érigé des barricades et allumé des feux, d’après des témoins et des télévisions. Mais tant dans cette mégalopole qu’à Ankara, d’autres rassemblements de plus grande ampleur se poursuivaient dans le calme dans la nuit.
Dans la journée de lundi, manifestants et forces de l’ordre avaient repris leur violente confrontation, aussi bien dans la capitale, sur la place centrale de Kizalay, qu’à Istanbul, à proximité des bureaux du chef du gouvernement. Toujours aussi déterminés, les Stambouliotes ont à nouveau envahi par milliers la place Taksim, au coeur de la contestation et désertée depuis samedi après-midi par la police, brandissant des drapeaux turcs et scandant « Tayyip, démission ! »
Voix dissonantes au sein du pouvoir
Sûr de lui, Recep Tayyip Erdogan a une nouvelle fois défié la rue turque. Il a quitté le pays lundi à la mi-journée pour une tournée de quatre jours au Maghreb. « Nous resterons fermes », a affirmé le chef du gouvernement à la presse. « Mon pays donnera sa réponse » à l’occasion des élections locales de 2014, « si vraiment nous avons des pratiques antidémocratiques, notre Nation nous renversera », a-t-il souligné.
« Oui, nous sommes maintenant au printemps, mais nous ne le laisserons pas devenir un hiver », a-t-il ajouté dans une allusion au « Printemps arabe ». Il a ensuite accusé les manifestants d’être menés par des « extrémistes » ayant des « liens » avec l’étranger. Quelques heures plus tard, de Rabat cette fois, Recep Tayyip Erdogan a estimé que la situation était « en train de revenir au calme ». « À mon retour de cette visite (au Maghreb, NDLR), les problèmes seront réglés », a-t-il poursuivi.
Plus conciliant, le président turc Abdullah Gül a, quant à lui, appelé les manifestants au calme et pris, une fois encore, le contrepied du Premier ministre. « Il est tout à fait naturel d’exprimer des opinions différentes (…) dans des manifestations pacifiques », a-t-il déclaré. La Bourse d’Istanbul a terminé sa séance de lundi sur une baisse de 10,47%, traduisant l’inquiétude des marchés. Dans son sillage, la livre turque a également brutalement chuté.
Répression brutale
Depuis vendredi, la protestation d’une poignée de militants associatifs contre le projet de destruction d’un parc public d’Istanbul a peu à peu gagné l’ensemble de la Turquie. Accusé de dérive autoritaire et de vouloir « islamiser » la société turque, Recep Tayyip Erdogan est aujourd’hui confronté à un mouvement de contestation d’une ampleur inédite depuis l’arrivée au pouvoir de son Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) en 2002.
Les violences des trois derniers jours ont fait plus de mille blessés à Istanbul et au moins 700 à Ankara, selon les organisations de défense des droits de l’homme et les syndicats de médecins des deux villes. Ces chiffres n’ont pas été confirmés par les autorités, le ministre de l’Intérieur Muammer Güler ayant évoqué dimanche un bilan de 58 civils et 115 policiers blessés pendant les 235 manifestations recensées entre mardi dernier et dimanche dans 67 villes.
La brutalité de la répression, largement évoquée sur les réseaux sociaux turcs, a suscité de nombreuses critiques dans les pays occidentaux, notamment aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni.
La puissante Confédération des syndicats du secteur public (Kesk) a appelé mardi à la grève : « La terreur exercée par l’État contre des manifestations totalement pacifiques se poursuit de telle façon que cela menace la vie des civils », écrit-elle dans un communiqué publié lundi sur son site internet. Marquée à gauche, la Kesk, qui revendique 240 000 adhérents regroupés dans 11 syndicats, a également estimé que la brutalité de la répression traduisait l’ « hostilité envers la démocratie » du gouvernement islamo-conservateur au pouvoir.
(Avec AFP)
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