L’Inalco, « seul endroit au monde où autant de langues africaines sont enseignées »
Amharique, bambara, berbère, comorien, haoussa, malgache, peul, soninké, swahili, tigrinya, touareg, wolof, yoruba… Outre l’arabe, une dizaine de langues subsahariennes sont enseignées à l’Inalco, à Paris. Rencontre avec Jean de Dieu Karangwa, directeur du département Afrique d’un institut unique en son genre.
Alors que les politiques français débattent de l’apprentissage de l’anglais dans les universités françaises, Jeune Afrique s’est penché sur l’enseignement des langues africaines dans l’Hexagone. Seul l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) à Paris propose un large choix de langues subsahariennes : swahili, wolof, malgache…
Depuis trois ans, le département Afrique dirigé par Jean de Dieu Karangwa voit ses effectifs légèrement augmenter passant de 185 en 2010 à 248 cette année, tandis qu’un département à part est totalement dédié à l’arabe et regroupe 950 personnes. Un regain d’intérêt qui vient compenser la baisse des effectifs de ces dix dernières années. En tout, l’Inalco accueille dans ses formations 7 800 étudiants.
Jeune Afrique : Quelles langues sont enseignées à l’Inalco et pourquoi ?
Jean de Dieu Karangwa (en photo ci-contre) : L’Inalco a été créé en 1795, au début orienté vers l’orient dans le sens géographique et classique du terme (Turquie, « Arabie », Inde, Chine…). Puis, avec la colonisation, l’Institut s’est intéressé aussi aux langues africaines (malgache et langues soudanaises – bambara, wolof) dont l’enseignement remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle. C’est en fonction des pays colonisés par la France que les langues ont été choisies avant de s’élargir vers d’autres aires d’influence du continent. Une histoire qui marque encore les enseignements à l’Inalco. C’est ainsi qu’aujourd’hui nous proposons de nombreuses langues : amharique, bambara, berbère, comorien, haoussa, malgache, peul, soninké, swahili, tigrinya, touareg, wolof, yoruba.
Quel est votre public ?
Dans le département Afrique, il y a environ 250 étudiants et les publics sont divers. Il y a ceux déjà inscrits dans d’autres filières de sciences humaines (histoire, sociologie, ethnologie) et qui souhaitent apprendre la langue pour mieux comprendre leur domaine de recherche ou pour partir sur le terrain. Beaucoup d’humanitaires viennent apprendre les bases d’une langue avant d’aller en mission. Nous avons aussi des travailleurs sociaux au contact d’Africains. D’autres viennent après des vacances en Afrique ou parce qu’ils ont un parent ou un(e) ami(e) qui parle une autre langue que la leur. Très régulièrement les plus des 60 ans veulent apprendre une langue africaine par simple curiosité scientifique.
D’autre part, un public régulier est constitué de personnes qui préparent les concours du Quai d’Orsay pour être diplomates. On trouve beaucoup de personnes qui sont passées par le département Afrique de l’Inalco dans les ambassades françaises.
Globalement votre public est plus âgé que dans les autres cursus universitaires ?
Ceci était vrai il y a encore une dizaine d’années. Nos étudiants venaient après une licence ou un master. Depuis quatre ou cinq ans, de plus en plus arrivent directement à la sortie du lycée car ils envisagent un métier en rapport avec l’Afrique ou s’intéressent à ce continent pour des raisons personnelles.
Les 2e ou 3e générations issues de l’immigration se tournent-elles vers vous ?
On a quelques étudiants qui souhaitent revenir aux sources en apprenant la langue de leurs parents ou grands-parents. Mais la plupart l’apprennent dans leurs familles ou préfèrent rester concentrés sur le français et la France, pays où ils veulent vivre. Ce qui est nouveau, c’est le mouvement inverse. Un certain nombre souhaitent rentrer en Afrique suite à la croissance économique enregistrée par certains pays.
Comment se fait le choix de la langue ?
Beaucoup pour des questions pratiques, que ce soit dans le cadre de leurs recherches ou en fonction de de la zone de départ. Parfois l’actualité influence le choix des langues apprises. Avec le conflit dans la région des Grands Lacs ou la crise somalienne, des gens appellent pour savoir si le kinyarwanda, le swahili ou le somali sont enseignés à l’Inalco.
Quelle est l’évolution de vos effectifs au département Afrique ?
Ce que j’ai constaté c’est que dans les années 1990, nos salles de classes étaient pleines. Le nombre d’inscriptions est sensiblement en baisse et ce n’est pas seulement à l’Inalco, dans toutes les universités partenaires au sein de l’Union européenne, mes collègues font le même constat. L’intérêt des étudiants se porte plus vers l’Est, vers la Chine ou d’autres pays émergents… Des raisons géopolitiques y sont aussi pour quelque chose. Le « retrait » de la France dans les politiques africaines peut aussi peut-être expliquer ce ralentissement.
Quelque part, on se sent garants de ces langues et des cultures dont elles sont le véhicule.
Quel est l’intérêt de venir apprendre une langue africaine à l’Inalco ?
Outre les raisons citées plus haut, l’Inalco est à Paris et c’est le seul endroit en France – et au monde – où l’on peut étudier un aussi grand nombre de langues africaines. Il y a des gens qui aimeraient apprendre une de nos langues et qui nous appellent de Bordeaux, Marseille, Strasbourg… C’est pourquoi la mise en place des cours à distance est envisagée dans un court terme.
Ailleurs en France où ces cours sont annoncés, ils sont optionnels et se limitent souvent à l’apprentissage des rudiments de la langue. À l’Inalco, c’est un « package » qui est offert aux étudiants on y apprend la langue, mais aussi la culture et l’histoire.
L’Inalco a-t-il de beaux jours devant lui ?
Oui, néanmoins nous sommes inquiets à cause des dernières lois sur la réforme des Universités. Il n’y a pas encore de fermeture mais la politique du nombre, entre autre, nous fait peur. Si une classe de peul ou de wolof venait à fermer, ce serait dommageable car nulle part ailleurs au monde, parfois même dans le pays d’origine, ces langues ne sont enseignées. Donc on se sent quelque part garants de ces langues et des cultures dont elles sont le véhicule.
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