Aqmi : Mokhtar Belmokhtar, employé pas modèle
Une lettre de dix pages, découverte dans un immeuble à Tombouctou, au Nord-Mali, révèle les dessous de la rupture houleuse entre le jihadiste Mokhtar Belmokhtar et Aqmi. Outre les nombreux reproches adressés au « Borgne » par ses anciens chefs, ce document fournit des éléments précieux sur le fonctionnement interne de l’organisation terroriste.
La lettre adressée à Mokhtar Belmokhtar a été découverte par des journalistes d’AP dans un immeuble anciennement occupé par des responsables d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) à Tombouctou. Le texte, d’une dizaine de pages dactylographiées en arabe, est daté du 3 octobre 2012, soit quelques jours avant le divorce entre Aqmi et son influent lieutenant sahélien.
Ce document est signé par les 14 membres de la Choura (le conseil consultatif) d’Aqmi et a été authentifié par trois experts de l’antiterrorisme. Il répond à une première missive de Mokhtar Belmokhtar, dans laquelle il menaçait de faire sécession. « Votre lettre (…) contient beaucoup de médisance, d’insultes et de railleries, commencent les responsables d’Aqmi. Nous nous sommes refusés à nous lancer dans cette bataille par le passé, espérant que les hommes corrompus retrouverait le droit chemin facilement (…) mais la blessure continue de saigner, et a en réalité déjà énormément saigné, jusqu’à ce que votre dernière lettre arrive. Elle met un terme à tout espoir d’étancher la plaie et de la soigner ».
Indiscipliné
Au fil des pages, décomposées en trente points, les dirigeants de l’organisation terroriste égrènent les nombreux torts qu’ils reprochent à Mokhtar Belmokhtar. D’après eux, leur ancien lieutenant était particulièrement indiscipliné et peu fiable. Ils écrivent notamment que « Le Borgne » répondait très rarement à leurs appels téléphoniques ou refusait de renvoyer les notes de frais que doivent remplir les émirs d’Aqmi. Les membres de la Choura reprochent surtout à Belmokhtar de vouloir court circuiter leur relation avec la maison-mère Al-Qaïda, avec laquelle la branche maghrébine n’a été en contact que « quelques fois » selon le document.
Un épisode illustre le comportement indiscipliné de l’ancien lieutenant d’Aqmi. Lors de la libération de deux diplomates canadiens, en 2008, au Niger, Mokhtar Belmokhtar a fait cavalier seul et empoché 700 000 euros sans attendre les ordres de son commandement. « Plutôt que de suivre le plan que nous avions mis au point, il a mené l’affaire comme il l’entendait. Ici, nous devons nous interroger : qui a mal géré cet enlèvement important ? […] Est-ce que ça vient du comportement unilatéral de notre frère Abu Abbas [le nom de guerre de Belmokhtar, NDLR], qui a mené à une insuffisance éclatante : échanger un colis des plus important (des diplomates canadiens !) pour un prix des plus ridicules (700 000 euros !) ».
Otages
La lettre découverte par AP confirme également que les rançons payées pour libérer les otages financent directement l’achat d’armes et l’organisation d’attaques terroristes. Les responsables d’Aqmi s’interrogent ainsi sur l’utilisation d’une « somme considérable » qu’ils ont envoyé à leur lieutenant rebelle pour se procurer du matériel militaire. Le texte souligne aussi la relation tendue qu’entretenait « Le Borgne » avec les autres responsables d’Aqmi au Sahel. « Pourquoi les différents émirs de la région n’ont des problèmes qu’avec toi ? Toi, en particulier, à chaque fois ? Ont-ils tous tort, et notre frère Khaled, raison ? s’interrogent les leaders d’AQMI. Abou El Abbas ne veut suivre personne. Il ne veut qu’être suivi et obéi. »
Les auteurs ne se tromperont pas sur ce point. Quelques semaines après la réception de cette lettre, en novembre 2012, Mokhtar Belmokhtar annonce qu’il sort du giron d’Aqmi pour lancer sa propre katiba, baptisée « Les Signataires par le sang ». Trois mois plus tard, en janvier 2013, il revendique l’attaque meurtrière contre le site gazier d’In Amenas, en Algérie. Annoncé mort par plusieurs sources, il signe son retour mi-mai, avec un double attentat sanglant contre un site d’Areva, à Arlit, et une base militaire, à Agadez, dans le nord du Niger. Un nouveau pied de nez à ses anciens boss, qui l’accusaient un peu rapidement de n’ « avoir jamais mené une opération de grande envergure malgré des moyens considérables ».
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Benjamin Roger
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