Bénin – GG Vikey : la dernière note du gentleman
L’écrivain béninois Florent Couao-Zotti rend hommage au musicien Gustave Gbénou Vikey alias GG Vikey, décédé à Cotonou, le 15 mai.
Éteint dans une clinique à Cotonou, à l’âge de 69 ans, Gustave Gbénou Vikey alias GG Vikey, laisse orphelins des millions d’admirateurs à travers le monde. Poète, guitariste, il a su faire entendre très tôt ses textes dans une Afrique tout juste réveillée du long sommeil de la colonisation. Ses chansons, composées dans les années cinquante et soixante, restent d’une étonnante actualité et témoignent du talent d’un artiste hors pair, passionné de l’Afrique et profondément humaniste. Retour sur un parcours des plus atypiques.
Gbénou Gustave est né à Bopa en septembre 1944. Sa mère, Benedicta Tchotchovi, troisième épouse d’un propriétaire terrien, veut rallier Atchanhoué à Bopa – sud-ouest du Bénin – pour y écouler de l’huile de palme, quand elle a commencé à ressentir les signes imminents de l’accouchement. Enceinte pour la troisième fois, la jeune femme prie tous les cieux pour que sa délivrance ne se solde de nouveau par des enfants mort-nés. Mais Dieu merci, le bébé vient au monde, sur les abords abrupts d’un sentier. Pour exorciser ses peurs, elle le montre au ciel et clame « eya tchan é viké bé gni », littéralement, « celui-là est aussi un enfant ». Le nom Viké lui sera ainsi collé au front comme porte-bonheur d’un destin, le destin d’un surdoué de la musique qui ne s’est jamais pris au sérieux, sauf quand il s’agit de ses études.
Brillantes études
Après le certificat primaire en 1955, Vikey est envoyé au lycée Victor Ballot à Porto-Novo. Sept ans après, le voilà bachelier, puis avec une bourse du ministère de l’éducation, il embarque en 1962 pour la France afin d’y effectuer des études supérieures. C’est au Havre qu’il prépare l’entrée à l’École de commerce. Pendant cinq ans, il mène de brillantes études et en sort, nanti d’un diplôme supérieur de commerce en 1967. Mais ses années françaises ne sont pas que laborieuses. Dans son studio d’étudiant, avec la nostalgie du pays, refleurissent chaque fois dans sa mémoire ses vieilles compositions, celles qui mettent en exergue les couleurs et les odeurs de son Bopa natal. Car, Vikey a toujours écrit des chansons. Au lycée, son maître de musique l’y avait toujours encouragé. Avec la guitare de fortune qu’il lui avait donnée, le jeune élève s’était alors trouvé un complice idéal pour des aventures mélodieuses.
En France, lors de ses vacances de 1963, Vikey se rend à Paris pour un job d’étudiant. Dans le bureau de l’administration où il est engagé, il fredonne souvent ses propres chansons. Le chef service, séduit par cet étudiant chanteur, lui donne l’adresse d’un studio d’enregistrement où s’organise une audition. Le jeune homme se rend à l’adresse et tombe sur Gilles Sala, producteur à Riviera, une société de production phonographique. Peu de temps après, Vikey signe son premier 45 tours. Là-dessus, figurent quatre chansons : « Sur le lac Ahémé », « Le Mal du pays », « Ma petite Jeanne », « Laisse-moi t’embrasser ».
"Chantre la négritude"
Mais de tous ces morceaux, c’est « Sur le lac Ahémé » qui est plébiscité. L’accueil au Dahomey et dans la communauté noire de Paris est enthousiaste. L’année qui suit, c’est-à-dire en 1964, la jeune vedette passe à la vitesse supérieure avec un super 45 tours, « gentleman Vikey », l’album de tous les records.
En fait, « gentleman Vikey » est une composition d’un musicien nigérian Bobby Benson intitulé « gentleman Bobby ». Bobby était à l’époque un chef d’orchestre (Bobby Benson and his Combo) père du high life nigérian. L’album de Vikey sera numéro 1 au hit parade africain, de 1965 à 1967. Ses retrouvailles avec le Dahomey seront ponctuées de concerts aussi bien à Cotonou, à Porto-Novo qu’à Lomé. Suit alors son troisième album « Vive l’Afrique », puis un quatrième « Vive les vacances ».
Si le musicien est un observateur attentif de son milieu, il reste, avant tout, un militant de la cause noire. Bien même avant d’aller en France et de s’inscrire dans le courant de pensée des poètes de la Négritude, GG Vikey célèbrait déjà les valeurs de la civilisation africaine. Arrivé en France, ce sentiment se renforcera par la lutte que mènent les intellectuels de la diaspora. D’ailleurs, il insiste pour qu’on mette sur ses premières pochettes le surnom de « chantre de la négritude »
À l’époque, les rythmes dominants en Afrique étaient le high life ghanéen, la rumba congolaise et le calypso caribéen. GG Vikey était partagé entre ces trois rythmes. Il adoptera le high life à la sauce dahoméenne. Un rythme en deux temps, battu par une tumba, joué par petites touches avec parfois des roulements. En fond sonore, des notes d’accompagnement que domine, de temps en temps, la guitare solo.
Solitude
Prolifique dans sa jeunesse, Vikey va progressivement arrêter son rythme de composition en même temps que ses apparitions en public. Engagé à la fonction publique en juin 1968, il commence à occuper des postes de responsabilité. Notamment ceux de Directeur général de la Loterie nationale, et de Directeur de l’hôtel Croix du sud. Désormais, il est un haut fonctionnaire de l’État, obligé, semble-t-il, de tenir son rang. Mais on raconte aussi que des problèmes personnels liés notamment à sa vie de famille, lui ont sapé le moral et éloigné du monde musical.
GG Vikey devient sombre, enfermé sur lui-même et solitaire. Bien vite, on le soupçonne de dépression. Il redevient un simple fonctionnaire du ministère de l’économie affecté dans les poussières d’un bureau. Des années plus tard, il est admis à la retraite.
Alors que les musiciens qui se retirent de la scène sont oubliés de la mémoire, GG Vikey, lui, avec les années, acquiert de la dimension. Avec sa mort, s’efface l’une des pages glorieuses de l’Afrique musicale, celle des Franklin Moukaka, ces poètes qui croyaient en l’Afrique et qui avaient décidé de prendre une part active à sa construction.
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Florent Couao-Zotti
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