Tammam Azzam : « Les médias peuvent parler de conflit syrien, pour moi c’est une révolution ! »

L’artiste syrien Tammam Azzam superpose des oeuvres connues de l’art mondial à la réalité syrienne, par photo-montage. Une manière pour cet exilé de créer « quelque chose qui appartient à la révolution ». Rencontre.

Tammam Azam, 32 ans, est originaire de Soueida, dans le sud de la Syrie. © DR

Tammam Azam, 32 ans, est originaire de Soueida, dans le sud de la Syrie. © DR

Publié le 24 mai 2013 Lecture : 3 minutes.

« Pour celui-ci, quelque chose s’est passé, je ne sais pas encore quoi. » Tammam Azzam ne sait toujours pas expliquer le succès de sa dernière œuvre Freedom Grafitti. Celle-ci, révélée fin 2012, est un montage du célèbre tableau de Gustav Klimt, Le Baiser, sur une photo d’un immeuble en ruines de Damas. « En à peine deux heures, la photo a été partagée des milliers de fois sur les réseaux sociaux. C’est peut-être par ce qu’elle est plus romantique … »  Il ajoute : « Mais je ne veux pas que les  gens s’arrêtent à la beauté de la peinture, parce que derrière, on a cet immeuble dans lequel, avant les bombardements, il y avait des gens qui ont tous été tués. Un immeuble, où il y avait plein d’autres baisers, plein d’autres histoires d’amours. »

Prendre les tableaux les plus connus du monde et les superposer à la réalité syrienne d’aujourd’hui, cet artiste syrien de 32 ans, originaire de Soueida, dans le sud du pays, en a fait sa spécialité et le concept de sa collection « Syrian Museum », exposée à la galerie Ayyam Al Quoz, à Dubaï.

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‘Syrian Museum – Gustav Klimt’s The Kiss (Freedom Graffiti)’, 112 X 112 cm. Archival Print on Cotton Paper Edition of 25.

© Tammam Azzam

 

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Ainsi détourne-t-il La Joconde de Leonard de Vinci pour lui faire contempler les mêmes ruines et impacts de balles, quand il ne transporte pas tout simplement Les Fusillades du 3 mai de Goya, dans une petite ruelle de la capitale syrienne. Quant à La Danse de Matisse, elle se déroule, grâce à un habile jeu de perspectives, sur un amas de pierres et de déchets.

"Je ne vais pas pleurer sur mon sort"

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Un concept, qui lui a permis de montrer ses travaux à Istanbul, Milan et Paris, où il exposait jusqu’au 18 mai, à l’Université Paris-Descartes. Mais qui ne résume ni l’œuvre ni le parcours de cet artiste diplômé des Beaux-Arts de Damas en 2001 et spécialisé dans la peinture à l’huile.

Damas, où il a installé son « studios, sa maison, sa famille, son tout » et qu’il a quitté six mois après le début de la révolution, en mars 2011. « C’était le moment où le régime commençait à appeler les jeunes hommes, pour qu’il retourne au service militaire. Je venais à peine de finir le mien, six mois auparavant et je ne voulais pas du tout repartir. » Lui qui vit depuis à Dubaï, avec sa femme et sa fille de six ans ajoute : « C’était devenu très compliqué et honnêtement, je n’ai pas vraiment envie d’en parler. On n’est jamais un héros, lorsque l’on part comme ça. Les gens  meurent tous les jours et moi, je suis là, à Paris, en train de boire un café, donc je ne vais pas pleurer sur mon sort. »

‘Syria Next Spring’, 112 X 112 cm. Archival Print on Cotton Paper Edition of 5.

© Tammam Azzam

Cet artiste, au franc-parler évident, est un peu à l’image de ses œuvres : engagé, réaliste, il s’anime, revit, en une seconde, grâce à des détails, au détour d’une phrase. Comme lorsqu’il explique ne pas supporter l’expression  « guerre civile syrienne ». « Les médias peuvent parler de conflit, de guerre civile ou je ne sais quoi ! Pour moi, c’est une révolution ! Je le sais, je l’ai vu. Je vivais en Syrie, je ne suis pas un étranger. Je sais quel genre de réfugiés nous avions. Dans une guerre civile, vous avez deux camps forts, pas d’un côté des pierres et de l’autres des armes à feu. »

‘Back to School’ 112 X 112 cm. Archival Print on Cotton Paper Edition of 5.

© Tammam Azzam

Travail plus "bloody"

Après le début des révoltes, du confit, quelque chose a changé, dans sa tête, dans son esprit, artistiquement aussi. Et cela, il n’arrive pas encore à l’expliquer non plus… Son travail est devenu plus « bloody », plus sanglant. « Comment continuer à exercer un art normal dans cette atmosphère ? »

Même s’il veut créer « quelque chose qui appartient à la révolution », il ne se fait guère d’illusions sur son rôle d’artiste. Presque désabusé, il avance : « À quoi bon parler du pouvoir de l’art ? Mon art ne changera pas la situation. Il ne changera pas les près de 100 000 morts de ces 2 ans et 3 mois de  révolution. Il ne changera pas non plus le silence du monde entier sur ce qui se passe en Syrie aujourd’hui. » 

Certes. Mais il a tout de même pour effet, notamment grâce aux réseaux sociaux, d’en toucher ou d’en interpeller certains, d’en informer d’autres. Raison pour laquelle d’ailleurs, même s’il refuse de l’admettre, tout en prenant un petit air renfrogné, il est pressé de rentrer à Dubaï, pour « se remettre au travail ».

 

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