Le Sénégal expulse le blogueur tchadien Makaila Nguebla vers la Guinée

Le Tchadien Makaila Nguebla, blogueur et militant des droits de l’homme, a été expulsé dans la nuit du 7 au 8 mai vers la Guinée Conakry par les autorités sénégalaises. Il raconte à « Jeune Afrique » les conditions de son arrestation.

Makaila Nguebla n’est jamais parvenu à obtenir le statut de réfugié politique au Sénégal. © DR

Makaila Nguebla n’est jamais parvenu à obtenir le statut de réfugié politique au Sénégal. © DR

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Publié le 8 mai 2013 Lecture : 4 minutes.

Son dernier billet donne le ton : « Arrestations arbitraires et persécutions se succèdent au Tchad : Idriss Deby doit démissionner ». Depuis Dakar, Makaila Nguebla, 43 ans, menait la fronde contre le chef de l’État tchadien à travers un blog à la tonalité radicale. Il s’était installé au Sénégal en 2005, après avoir été expulsé de Tunisie quelques semaines après avoir critiqué (dans le courrier des lecteurs de Jeune Afrique l’Intelligent) le népotisme qui présidait selon lui aux recrutements au sein de la fonction publique tchadienne.

Collaborateur de longue date de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho), soutenu par Reporters sans frontières (RSF), Makaila Nguebla n’est jamais parvenu à obtenir le statut de réfugié politique. À l’en croire, « le régime tchadien a exercé des pressions sur les autorités sénégalaises » afin de les dissuader d’officialiser sa situation. Incapable d’obtenir le renouvellement de son passeport tchadien, il affirmait vivre « dans une prison sans barreaux », faute de pouvoir sortir du territoire sénégalais.

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En 2012, l’alternance aidant, une nouvelle tentative avait été introduite auprès du gouvernement de Macky Sall. Sans succès. Mardi 7 mai, Makaila Nguebla a vu ses derniers espoirs s’évanouir lorsque la Direction de la surveillance du territoire (DST) lui a signifié qu’il était soupçonné d’inciter la jeunesse tchadienne à renverser le régime Deby. La nuit même, il était expulsé vers Conakry.

Cette opération-éclair, dénoncée dès mardi soir par les trois principales associations sénégalaises de défense des droits de l’homme, intervient dans un contexte où une « tentative de déstabilisation » du régime, dénoncée par les autorités tchadiennes, a conduit à plusieurs arrestations depuis une semaine et où un accord de coopération judiciaire vient d’être signé entre les ministres tchadiens et sénégalais de la Justice dans le cadre de la procédure ouverte à Dakar contre l’ancien président Hissène Habré.

Jeune Afrique : Dans quelles conditions s’est déroulée votre arrestation ?

Makaila Nguebla : Lundi 6 mai, la DST sénégalaise m’a contacté pour me demander de passer au commissariat dans l’après-midi. Puis ils m’ont rappelé pour décaler la convocation au mardi matin à 9h30. Les policiers ont évoqué une intervention récente que j’ai faite sur la radio Sud FM, ainsi que divers articles de la presse sénégalaise évoquant mes efforts pour tenter d’obtenir, en vain, le statut de réfugié politique. Ils m’ont également présenté des courriels que j’ai échangés avec le journaliste Éric Topona [secrétaire général de l’Union des journalistes tchadiens, NDLR], que je connais de longue date et qui vient d’être arrêté au Tchad. C’est un journaliste qui était en contact avec toute l’opposition, à la recherche d’informations. Mais ils ont aussi mis sur la table d’autres courriels que j’aurais échangés avec des gens que je ne connais même pas ! En se basant sur ces faux messages, ils m’ont accusé d’inciter la jeunesse tchadienne à se soulever contre le régime d’Idriss Deby, via Internet et les réseaux sociaux.

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Comment a été décidé le choix du pays vers lequel vous avez été expulsé ?

À 15 heures, ils ont rédigé un procès-verbal et m’ont annoncé que j’allais être expulsé vers le Tchad ou vers le Mali. Je leur ai dit qu’ils ne pouvaient pas me renvoyer au Tchad, où ma vie serait en danger, ni vers le Mali, où la présence de l’armée tchadienne risquerait également de m’exposer. Ils ont tenu compte de mes objections, et c’est ainsi que le choix de mon pays d’accueil s’est porté vers la Guinée. Ils m’ont conduit à l’aéroport dans la soirée. J’ai pu récupérer mes téléphones une fois dans l’avion.

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Voyez-vous un lien entre la signature récente d’un accord de coopération judiciaire entre les ministres tchadiens et sénégalais de la Justice et votre expulsion ?

J’ai reçu des informations selon lesquelles mon cas aurait été soulevé au plus haut niveau lorsque le ministre Jean-Bernard Padaré est venu signer cet accord de coopération judiciaire à Dakar. Le ministre tchadien a quitté le Sénégal, samedi 4 mai. Le lundi suivant, j’étais convoqué par la DST. C’est désolant de voir qu’un grand pays comme le Sénégal ait pu céder aux pressions d’un régime autoritaire comme celui de N’Djamena en acceptant d’expulser une personne qui milite pour les libertés, les droits de l’homme et la démocratie en Afrique.

Dans quelle situation vous trouvez-vous à Conakry ?

Je ne connais personne en Guinée et j’ai tout laissé derrière moi à Dakar. J’ai été accueilli dans une famille grâce à une dame que j’ai rencontrée dans l’avion. Je salue l’attitude, des autorités guinéennes, qui m’ont laissé débarquer et entrer dans le pays. J’espère régulariser ma situation ici ou trouver un autre pays d’accueil.

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Par Mehdi Ba, à Dakar

>> Voir le blog de Makaila : http://makaila.over-blog.com/

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