Damantang Camara : « Jamais l’opposition guinéenne n’a condamné les violences de ses militants »
Damantang Albert Camara, porte-parole du gouvernement guinéen et ministre de l’Enseignement technique, de la Formation professionnelle et de l’Emploi, revient sur les violences qui émaillent régulièrement les manifestations de l’opposition à Conakry. L’occasion de répondre aux critiques qui sont adressées à Alpha Condé au sujet des législatives prévues le 30 juin.
Jeune Afrique : Quel est le bilan officiel, en termes de morts et de blessés, de la manifestation de l’opposition du 2 mai dernier et des heurts qui ont eu lieu les jours suivants ?
Damantang Albert Camara : Il y a eu quatre morts et une trentaine de blessés. Un policier est dans un état grave. Nous avons répertorié plusieurs dégâts matériels, des véhicules incendiés et des domiciles privés attaqués.
Pour ce qui est des quatre personnes décédées, que sait-on exactement ?
Deux d’entre elles ont été tuées par balles, une autre a été tuée dans un accident de la circulation et la dernière des suites de coups et blessures. Ce qui nous inquiète au plus haut point, bien entendu, ce sont les morts et les blessés par balles, car nous n’avons pas pu déterminer d’où cela venait. Même si tout semble indiquer que ce sont deux individus incontrôlés – et dans des quartiers différents – qui ont tiré, visiblement à l’aveugle dans au moins un des cas. À l’heure actuelle, nous n’avons pas encore mis la main sur ces deux individus. Il est important de rappeler que ce sont des actes isolés, qui ne sont clairement commandités ni par la gendarmerie, ni par la police, ni par l’armée.
Les forces de l’ordre chargées d’encadrer la manifestation du jeudi 2 mai étaient-elles armées ?
Non. Les décès sont d’ailleurs survenus le lendemain de la manifestation, le vendredi 3 mai. Pour les manifestations, des consignes claires ont été données aux militaires pour qu’ils restent dans les casernes, ainsi qu’à la police et à la gendarmerie pour qu’ils n’aillent pas sur le lieu des marches avec des armes.
Qu’a entrepris le gouvernement pour établir les responsabilités ?
Les enquêtes sont lancées. Une information judiciaire a été ouverte et nous avons demandé officiellement l’assistance de la France pour qu’une expertise balistique soit mise à notre disposition, puisque nous n’avons pas aujourd’hui les moyens de procéder à ce type de recherche. Normalement, dans les jours qui viennent, nous devrions bénéficier de cette expertise internationale.
Des manifestants le 2 mai à Conakry.
© AFP
L’opposition a décidé de continuer ses manifestations et en a déjà prévu une le 10 mai prochain. Que peut-on faire pour éviter de nouveaux drames ?
Il faudrait déjà que les organisateurs de ces marches respectent l’itinéraire que donne le gouverneur de la ville de Conakry. Les deux fois où il y a eu des incidents, c’est quand l’opposition a décidé coûte que coûte d’emprunter l’autoroute « Le Prince », qui ne répond pas aux normes de sécurité, selon le gouverneur de la ville. C’est un axe qui dessert le plus grand marché du pays, sur lequel il y a des points chauds, où on estime qu’il y a des risques de paralysie économique et/ou d’affrontement avec les militants du camp adverse. Si l’itinéraire était respecté, cela permettrait de faciliter le travail des forces de l’ordre. Il faudrait aussi que les organisateurs maîtrisent les manifestants. Et évidemment que ce soit la même chose au niveau des forces de sécurité et de maintien de l’ordre.
Nous avons eu la surprise de voir, à la dernière manifestation, Cellou Dalein Diallo qui félicitait la "combattivité" de ses militants.
Est-ce que vous appelez aujourd’hui l’opposition à renoncer à ce type de marches ?
Le président de la république a pris l’engagement de respecter les libertés constitutionnelles. La première d’entre elles est la liberté d’expression. Qu’importe sa forme, pourvue qu’elle respecte la loi. Alpha Condé est un homme qui a lutté 40 ans pour ce genre de libertés, on le voit mal en train de les interdire. Tout serait beaucoup plus facile si chacun se respectait et si dans les discours, il y avait moins de violences.
Je signale que malgré tous les incidents qui se sont déroulés en Guinée, jamais une seule fois l’opposition n’a condamné les actes de violence de ses militants. Nous avons eu d’ailleurs la surprise de voir à la dernière manifestation, Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) qui félicitait la « combattivité » de ses militants. Pour nous ce ne sont pas des discours responsables. Tout le monde devrait appeler à l’apaisement.
Les membres de l’opposition ont repris leurs marches à la suite de la promulgation, le 13 avril dernier, du décret présidentiel portant les élections législatives, maintes fois reportées, au 30 juin prochain. Ils accusent le chef de l’État de "trahison" et d’avoir "rompu le dialogue". Que leurs dites-vous ?
Nous avons pris le soin, au moment de l’annonce du décret, de dire que le dialogue n’était pas rompu et que tous les sujets pouvaient être abordés. La grande question est : sur quelle base devrait-on interrompre le processus électoral ? Sur celle de simples « doutes » ?
De "simples doutes" ?
Je ne fais que citer l’opposition qui affirme avoir des « doutes » sur l’opérateur technique, Waymark. Comprenons que lorsque l’on a face à nous, d’un côté, des experts, une Ceni indépendante qui affirme être prête, – dans laquelle d’ailleurs l’opposition est représentée -, des partenaires techniques et financiers de la Guinée, qui nous disent aussi que la Ceni est prête et qu’elle a atteint un niveau de sécurisation du processus électoral sans précédent et, de l’autre côté, des simples « doutes », il est difficile pour le président de la république et son équipe de suspendre le processus électoral.
Pourquoi avoir choisi la date du 30 juin ?
Cette date faisait tout simplement partie de l’intervalle de dates proposé par la Ceni.
Alpha Condé, peut-il revenir sur ce décret ?
Nous avons pris ce décret pour convoquer le corps électoral et pour leur dire, « nous avons 70 jours pour nous mettre d’accord, dialoguer sur un certain nombre de choses ». Cela étant, il est évident que si des arguments incontestables sont apportés pendant ce dialogue, sur des éléments qui demandent de revenir en arrière, je pense que nous en tiendrons compte. Aujourd’hui nous ne les avons pas. Il n’est donc pas question de revenir sur ce décret, de suspendre le processus électoral, sans avoir de visibilité sur ce que veut vraiment l’opposition et sur le bien-fondé de ses revendications.
D’autant plus que l’opposition a indiqué que ses positions sur Waymark et le droit de vote des Guinéens de l’extérieur étaient non négociables. Nous nous posons donc la question de savoir pourquoi l’opposition appelle au dialogue, si ce dernier est déjà impossible sur ces deux points.
Est-ce qu’il est envisageable, comme le propose certains, la désignation d’un autre opérateur technique, qui viendrait en soutien à Waymark (opérateur technique sud-africain chargé de réviser le fichier électoral) ?
Justement, tous ces détails nécessitent que l’opposition accepte de discuter. Quand on analyse la position de l’opérateur Waymark, on voit bien que ce dernier est soutenu, à bout de bras, par un collège d’experts internationaux. Je crois en réalité que beaucoup de gens discutent sans avoir pris la peine d’analyser le fonctionnement réel de cet opérateur, et les points de sécurisation du processus électoral qui sont prévus. On est sur des élucubrations, des doutes, des suspicions. Et c’est très difficile de faire évoluer les gens lorsqu’au fond d’eux-mêmes, ils n’ont pas envie d’être convaincus.
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Propos recueillis par Haby Niakaté
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