Philosopher en Afrique : de la domination à l’indiscipline

Les 4 et 8 mai, notre collaboratrice Séverine Kodjo-Grandvaux dédicacera à Abidjan son ouvrage « Philosophies africaines », une histoire et un état des lieux de la discipline sur le continent.

 © shutterhacks/CC/Flickr

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Publié le 3 mai 2013 Lecture : 2 minutes.

C’est sans doute un télescopage involontaire, mais le hasard de l’actualité veut que, quelques mois après l’autodafé de manuscrits précieux, dans ce centre de la pensée que fut Tombouctou, la maison d’édition Présence africaine lance La philosophie en toutes lettres, une collection d’essais philosophiques dirigée par le Sénégalais Souleymane Bachir Diagne, professeur à l’université de Columbia (New York). Dense introduction aux ouvrages à venir, le premier opus est en toute logique intitulé Philosophies africaines, signé de notre collaboratrice Séverine Kodjo-Grandvaux, qui adapte là sa thèse de doctorat soutenue en 2006, à l’Université de Rouen, sous la direction d’Yves Michaud.

De quoi parle-t-on quand on accole au mot philosophie l’épithète « africaine » ? Sur quelles fondations repose aujourd’hui cette discipline ? Comment peut-elle, comment doit-elle évoluer ? En archéologue des idées, Séverine Kodjo-Grandvaux explore les strates d’une épistémologie qui, au cours du dernier siècle, s’est construite essentiellement en réaction à l’Occident. D’abord sous le joug de son influence impérialiste, puis en réaction contre cette emprise. L’ethnophilosophie représente ainsi une première tentative d’échapper au pouvoir colonial, mais qui ne parvient pas à se détacher de savoirs « à prétentions pratiques » comme l’ethnologie ou l’anthropologie qui ont servi « une politique d’asservissement, de domination et d’exploitation ». Puis, avec le mouvement des Indépendances et l’injonction à la décolonisation des esprits, vient le temps d’une pensée cherchant à se replier sur « l’identité africaine », contre le moule occidental. Un « retour au sources » risqué : « Dès lors que la philosophie cherche à se penser de manière « nationalitaire », c’est-à-dire continentale, nationale, ethnique, elle doit éviter plusieurs écueils, notamment celui de l’esprit collectif et celui de la particularisation excessive », écrit l’auteur. L’apport de la philosophie occidentale comme celui des autres courants de pensée ne doit pas être rejeté, entre autres parce que les écrits africains en la matière sont rares.

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"Indiscipline"

S’attardant sur le travail des philosophes Paulin Hountondji (Bénin), Henry Odera Oruka (Kenya), Jean-Godefroy Bidima (Cameroun), Kwasi Wiredu (Ghana) et Souleymane Bachir Diagne (Sénégal), Séverine Kodjo-Grandvaux plaide in fine pour une philosophie ouverte et dynamique s’appuyant « sur le paradigme de la rencontre » et du dialogue – à l’image de ce que représenta sans doute Tombouctou, à une autre époque. Mais peut-être que les termes « confrontation » ou « palabre » conviendraient mieux, puisqu’il s’agit aussi d’agir directement sur le réel : « Penser la philosophie africaine, ce n’est pas seulement étudier les textes (…), mais c’est aussi penser ce que la philosophie peut apporter aux sociétés africaines, ce qu’elle a à dire des réalités africaines, ce qu’elle a à proposer comme conception du politique qui permette aux sociétés de se développer dans un monde économique et politique nouveau… » Mais, pour reprendre l’idée de Jean-Godefroy Bidima selon laquelle « le premier effet des discours politiques en Afrique noire francophone, consiste en la privation/confiscation de l’espace du discours », la philosophie africaine ne peut exister, pour l’heure, que comme une « indiscipline ». C’est d’ailleurs peut-être à ce titre – comme en Occident, du reste – que les pouvoirs se méfient toujours des philosophes, rétifs aux asservissements et trop prompts à questionner l’ordre établi comme l’état de fait.

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Philosophies africaines, de Séverine Kodjo-Grandvaux, Présence Africaine, 306 pages, 18 euros.

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Dédicaces :

– le samedi 4 mai 2013, de 14h00 à 18h00 à la Librairie de France, Espace Latrillew , Galerie marchande SOCOCE, Abidjan

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– le mercredi 8 mai 2013, de 10h00 à 14h00, à la Librairie de France Plateau, Avenue Chardy, Immeuble Alpha 2000, Abidjan

 

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