Un « Ouestaf » à Kinshasa
Carnet de route à Kinshasa, par Abdel Pitroipa, journaliste à « Jeune Afrique ».
Mais où donc finirai-je par dénicher un arrêt de bus ? J’ai beau parcourir le boulevard du 30 juin, l’une des plus grandes artères de « Kin la belle », admirablement rénovée en route à deux fois trois voies, mes efforts restent vains. Dans cette ville tentaculaire, qui fait près de 100 fois la superficie de Paris intra-muros, on ne saurait pourtant concevoir qu’il n’y ait pas de moyens de locomotion en commun pour se rendre d’un point à un autre.
Quelques mots qui me sont adressés en lingala suffisent pour s’apercevoir que je ne suis pas d’ici et que je suis en réalité un « wara » ou encore un « ndingari », comme on appelle les Ouest-africains de ce côté du fleuve Congo. Ce sobriquet d’abord destiné aux commerçants sénégalais s’est ensuite étendu à tous les immigrés venus de la partie occidentale du continent.
En fait, tout bien considéré, il y en a des transports, à foison et pour tous les goûts me fait-on remarquer. Pour rejoindre ma destination, j’ai l’embarras du choix entre différentes gammes de minibus, semblables aux « gbakas » abidjanais, qui sillonnent à vive allure les rues de Kinshasa, portières coulissantes toujours ouvertes afin que le crieur annonce le trajet et attire les passagers.
Les « Hiace », véhicules de marque Toyota pouvant embarquer jusqu’à douze personnes sont ceux qui me semblent les plus sûrs. Cette chaude après-midi d’avril, je ne me sens pas l’esprit suffisamment aventurier pour m’embarquer à bord d’un « Combi », automobile 16 places du concessionnaire Volkswagen, que les congolais prononcent drôlement « Véwé ».
Esprit de mort, sors de ce corps !
Dans ces machines datant d’après-guerre, étrangement nombreuses ici, l’intérieur a été arraché par de savants bricoleurs, pour laisser place à des bancs de bois, cloués à même la carrosserie rapiécée et rouillée par le temps. Aménagement semblable dans les « Esprits de mort », Mercedes 207 (« 200 et 7 », comme disent encore les congolais) qui contiennent jusqu’à six bancs de quatre personnes.
« Le pays a été envahi par un vent de religiosité, m’explique-t-on. Lorsque les pasteurs procèdent à une délivrance (exorcisme), ils crient ainsi : « Esprit de mort, sors de ce corps ! » » D’où la dénomination de ces cercueils ambulants. Avec de tels attelages, en libre circulation dans une capitale congestionnée du soir au matin, les accidents mortels sont, hélas, fréquents.
Un risque de mortalité augmenté sur les taxis-motos, qui slaloment entre ces poids lourds à la conduite hasardeuse. Ici, les motocyclettes, minoritaires, sont loin d’être les reines de la route comme dans mon Ouagadougou. On les appelle « wewa », ce qui signifie « toi ! » en tshiluba, langue parlée au Kasaï. « Les premiers conducteurs étaient de là-bas et s’interpellaient de la sorte, alors le nom est resté », me raconte un Kasaïen. « IIs ont fui la crise du diamant et comme ils n’aimaient pas l’agriculture, ils ont trouvé ce moyen de vivre autrement. Ils possèdent parfois trois à quatre motos que d’autres conduisent pour eux », ajoute-t-il.
Transport 100% informel
À Kin, le transport public est 100 % informel, et les véhicules « second hand » appartiennent à des particuliers qui les ont reçus de parents vivant en Europe. « Il n’y a pas de société de transport, s’indigne un aîné. Le gouvernement se vante d’avoir acheté 200 bus, mais nous n’en avons rien vu pour l’instant ! » Réceptionnés depuis quelques semaines par le ministère des Transports, les cars attendent indéfiniment d’être mis en circulation par la Transco, société à qui la gestion de ces bus a été confiée.
Me voici enfin « Place Victoire », pour y parvenir j’ai dû me conformer au code des transports en commun propre à Kin. Pour héler un taxi-bus, nul besoin de s’égosiller comme je le ferais pour un « wôrô-wôrô » (taxis low-cost) à Abidjan. A proximité des attroupements spontanés qui constituent des arrêts de bus improvisés, on indique plutôt son point de chute par un geste du doigt bien défini. En ce qui me concerne, une vrille décrite avec mon index pointé vers le sol suffit à désigner que je voulais me rendre vers la « Place des artistes », nommées ainsi en référence à l’inscription des noms de tous les musiciens congolais décédés sur le monument qui trône sur ce rond-point… carré.
Commerces de tout genre, animés par les vendeurs ambulants, enchevêtrement mouvant de Combis, « Esprits de morts », et autres taxis en faction… C’est un joyeux chaos qui règne dans ce centre névralgique de la capitale. « Ici, c’est le carrefour de toutes les destinations, tu ne peux pas te perdre à Victoire », me rassure mon accompagnateur. Kintambo, Lemba, Matete… toutes les 24 communes de Kinshasa peuvent être ralliées à partir de ce point. Bien imaginé, je ne peux pas m’empêcher de penser que Dakar ou Cotonou gagneraient à s’inspirer de cette forme d’organisation.
Il est temps de rentrer. Une voiture pétaradante nous réceptionne. Direction La Gombe, centre-ville que seul le fleuve sépare de Brazzaville. Je laisse derrière-moi Victoire la grouillante. J’aurai pu venir à 3 heures que j’y aurai trouvé la même animation, me certifie-t-on. Kinshasa never sleeps…
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