Homosexualité : quand le mariage pour tous fait des vagues au Sénégal
Lancée par un quotidien, la rumeur prêtant à Macky Sall la volonté de dépénaliser secrètement l’homosexualité au Sénégal a créé le buzz pendant plus de trois semaines, jusqu’à entraîner un démenti de la présidence.
Il aura suffi d’un simple article pour enclencher la machine à fantasmes. Dans son édition du 28 mars, surfant sur le débat parlementaire du mariage pour tous, qui agite la France depuis plusieurs mois, le quotidien Le Populaire se fend d’un pseudo-scoop au titre choc : « Des homosexuels en réunion secrète pour la défense de leur cause à l’Assemblée nationale ». Citant des « sources sûres », le quotidien évoque un « conclave » au cours duquel « des homosexuels sénégalais – et non des moindres –, appuyés par de grands lobbies homosexuels internationaux » se seraient concertés « pour mettre en place des stratégies qui vont permettre de porter le plaidoyer des homosexuels à l’Assemblée nationale. »
Le journal croit savoir que des représentants du ministère de la Santé et de la Rencontre africaine pour les droits de l’homme (Raddho) « ont pris part aux discussions ». Dans un pays comme le Sénégal, où la perspective d’une dépénalisation de l’homosexualité, à peine évoquée – ou fantasmée –, suscite une levée de boucliers générale, il n’en fallait pas davantage pour mettre la société en émoi.
Dès le lendemain, des imams montent au créneau. Baye Mamoune Niasse, de la confrérie Niassène, se dit « très irrité » à l’idée que des représentants du ministère de la Santé aient pu participer à une telle réunion et met en garde le président Macky Sall : « Si une loi en faveur des homosexuels est présentée à l’Assemblée nationale, je proposerai que l’on applique la charia dans ce pays. » Quant à l’imam Massamba Diop, qui dirige l’association islamique Jamra, il annonce que son ONG va entamer une tournée d’information auprès des chefs religieux pour dénoncer « le scandaleux projet du plaidoyer homosexuel au Sénégal ».
Pluie de démentis
En 48 heures, la machine s’emballe et chacun y va de son désaveu, jusque dans les rangs de l’Assemblée nationale où un groupe de cinq députés se constitue « pour aller en croisade contre l’homosexualité ». Dans le même temps, les démentis vont crescendo. Le président du groupe parlementaire Bennoo Bokk Yaakaar (BBY), Moustapha Diakhaté, fait savoir que le groupe parlementaire de la mouvance présidentielle « n’envisage pas de soutenir, encore moins de porter, une telle proposition de loi ». Le porte-parole du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, doit lui aussi monter au créneau : « Jamais cette question n’a été abordée par le gouvernement, encore moins par l’assemblée », précise l’ancien journaliste.
Mais la campagne d’indignation se poursuit, des imams allant jusqu’à menacer de s’immoler par le feu. Et le président Macky Sall finit par sortir de sa réserve. Le 11 avril, le communiqué officiel publié à l’issue du Conseil des ministres mentionne que le chef de l’État « n’a jamais envisagé une telle option, qu’il exclut totalement sous son magistère », précisant que Macky Sall a « réitéré son ancrage dans nos valeurs culturelles de base, qui ne peuvent s’accommoder d’une option de dépénalisation de l’homosexualité ». Qu’importe, une poignée de cadres de l’opposition continueront de se perdre en conjectures sur les visées inavouables prêtées aux homosexuels présents, selon eux, dans les rangs du gouvernement.
En guise de "complot", un forum de prévention sur le VIH !
Durant ces trois semaines de fièvre, personne n’aura pris le temps de se renseigner plus avant sur la teneur de la fameuse réunion à l’origine de tant d’émotion. Celle-ci, qui s’est tenue à l’hôtel Savana, à Dakar, du 18 au 22 mars, n’avait pourtant rien d’un complot clandestin. Organisé par l’Alliance nationale contre le sida (ANCS), ce forum d’échange réunissait une quarantaine de directeurs venus de trente-cinq pays pour réfléchir à la problématique croisée « VIH, santé et droits humains ».
Portant notamment sur « la criminalisation des populations-clés » et les « défis liés à l’environnement légal et institutionnel », les intervenants se sont penchés sur les mesures de prévention à favoriser concernant les populations les plus exposées au VIH. La cérémonie d’ouverture était placée sous la présidence de la ministre sénégalaise de la Santé et de l’Action sociale et un représentant de la Raddho, Aboubakri Mbodji, assistait à ces journées d’échange. En fait, toute l’affaire n’est que le dernier écho en date d’une vieille rumeur aussi douteuse qu’insistante prêtant au président Macky Sall la secrète volonté de dépénaliser l’homosexualité – le code pénal sénégalais punit de un à cinq ans d’emprisonnement « tout acte considéré comme contre-nature, notamment un acte sexuel entre personnes de même sexe ».
>> Lire aussi : "Macky Sall et le "leggingate"
Au second tour de la présidentielle de 2012, l’actuel président avait prôné une « gestion responsable de l’homosexualité » avec toutes les forces vives du pays, ce qui alimente, depuis, les procès d’intention à son égard. Mi-février déjà, un portail sénégalais annonçait sans précaution aucune « que des lobbies maçonniques et homosexuels prépar[ai]ent un “complot” contre le Sénégal » en collusion avec l’actuel président. Des rumeurs qui, dans le contexte sénégalais, sont de nature à représenter une redoutable arme politique.
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Par Mehdi Ba, à Dakar
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