RDC : les conditions de travail des journalistes se dégradent

Le nombre d’exactions à l’encontre des journalistes congolais a augmenté en 2012. En raison de la guerre à l’est du pays, mais aussi souvent « sous le prétexte de la guerre », comme le dénonce l’organisme congolais Journalistes en danger (JED) dans son dernier rapport. État des lieux.

Un Congolais manifeste pour la liberté de la presse, en 2012. © AFP

Un Congolais manifeste pour la liberté de la presse, en 2012. © AFP

Publié le 22 avril 2013 Lecture : 4 minutes.

C’est une histoire comme il peut s’en produire toutes les semaines en ces temps troublés à l’est du Congo. Le 19 mars dernier, Elias Bizimana, journaliste à Alliance FM, radio émettant depuis Kiwandja, dans le Nord-Kivu, reçoit un coup de téléphone de la part d’un inconnu. Il se rend au rendez-vous et est enlevé par trois hommes qui l’emmènent en brousse. Quelques heures plus tard, son directeur reçoit un SMS exigeant une rançon de 200 dollars, faute de quoi Elias sera exécuté.

Heureusement, le journaliste est relâché, sain et sauf, 24 heures après le rapt. Simple crapulerie ou dommage collatéral du conflit ? Quoiqu’il en soit, les cas semblables se sont multipliés à l’est du pays, ce qui a conduit l’association Journalistes en danger (JED) à condamner « avec la dernière énergie le climat de terreur qui tend à se pérenniser et s’institutionnaliser dans la province du Nord-Kivu ».

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>> À voir, sur le même sujet, notre webdocumentaire "Kinshasa FM, le quotidien des journalistes en RDC"

Un climat délétère que confirme Tuver Wundi, correspondant de JED à Goma. « Dans la province, en 2012, nous avons relevé 44 cas d’atteintes à la liberté de la presse, dont dix commis par le M23, décompte-t-il. Il s’agit de menaces, d’agressions, de fermetures de médias, de sabotages, de censures. » Ces incidents se sont multipliés depuis un an, de chaque côté de la ligne de front. « Qu’ils se trouvent sous le contrôle des FARDC ou du M23, les médias se transforment en outils de propagande et les journalistes ont peur », déplore Tuver Wundi.

Les atteintes aux journalistes augmentent de 15% en 2012

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Le Kivu n’est pas la seule zone concernée par ces atteintes à la liberté d’informer. En décembre déjà, JED, avait publié son rapport 2012, avec un titre évocateur : « Sous le prétexte de la guerre… » Le document met en lumière l’insécurité croissante des journalistes sur tout le territoire de la RDC.

« Dans ce rapport, nous avons documenté en 2012 au moins 184 cas d’atteintes diverses au travail des journalistes, 56 cas d’arrestations, six agressions, 23 cas de menaces, 75 cas de censure, ainsi que des pressions diverses exercées sur les médias », énumère Tshivis Tshivuadi, secrétaire général de JED à Kinshasa. Soit une hausse de 15% des atteintes à l’intégrité des journalistes par rapport à l’année 2011, qui était pourtant une année électorale. Seule note positive : « En 2012, pour la première fois depuis huit ans, nous n’avons enregistré aucun cas de journaliste assassiné », relève Tshivis Tshivuadi.

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Les restrictions recensées peuvent être collectives comme individuelles. De par la notoriété de la station, l’émotion a été forte lorsque les ondes de Radio Okapi ont été brouillées le 1er décembre suite à une décision du CSAC, l’organe de régulation des médias, officiellement pour non-transmission du cahier des charges, mais une mesure qui intervint le lendemain de la diffusion d’une interview d’un responsable du M23.

Dans la plupart des cas, les prétextes de la guerre ou de la déstabilisation sont souvent évoqués pour réduire au silence un média ou se venger d’un journaliste.

La station soutenue par les Nations unies a vite repris ses activités habituelles, ce qui n’est pas le cas de Canal Futur International, une chaîne proche de l’opposition, fermée le 28 novembre, au prétexte que « l’un des principaux partenaires de cette chaîne serait impliqué dans une entreprise de déstabilisation du Congo », sans que le nom du responsable incriminé ait été révélé. Radio Lisanga Télévision (RLTV) avait déjà été fermée en septembre 2012, lorsque son patron, le très controversé député de l’opposition Roger Lumbala, avait, lui, abattu ses cartes en rejoignant les rangs du M23.

« Dans la plupart des cas, les prétextes de la guerre ou de la déstabilisation sont souvent évoqués pour réduire au silence un média ou se venger d’un journaliste », déplore Tshivis Tshivuadi, qui estime que ces actes accroissent les réflexes d’autocensure dans toute la profession. Sans rentrer dans le fond des affaires traitées en justice, JED dénonce le caractère excessif de la législation qui aboutit à des emprisonnements de journalistes sans jugement, malgré un droit à l’information garanti par la Constitution et la loi sur la presse du 22 juin 1996.

Problème de statistiques ?

Ainsi, dans une affaire sans lien avec le conflit à l’est de la RDC, Joachim Diana Gikupa, directeur du journal La Colombe, a récemment été condamné à six mois de prison et à 20 000 dollars d’amende, suite à la publication d’un article dénonçant l’utilisation dans un centre hospitalier de médicaments périmés, fournis par une société chinoise. Le journaliste a été finalement libéré le 13 février après 20 jours de détention à la prison centrale de Makala, à Kinshasa.

Du côté du gouvernement, on digère difficilement le sombre tableau dessiné par les défenseurs des droits de l’homme.

Du côté du gouvernement, on digère difficilement le sombre tableau dessiné par les défenseurs des droits de l’homme. « C’est un fait que nous ayons enregistré pas mal de plaintes dans la partie de notre pays qui fait l’objet d’une occupation étrangère. La situation dans ces zones à l’est s’avère préoccupante, nous y sommes en guerre », déclare Lambert Mendé, ministre de la Communication et des Médias, ciblant directement les zones sous occupation du M23. « Cependant, nous avons un problème avec la manière dont JED élabore ses statistiques. Il n’est pas possible de savoir ce qui est imputable aux pouvoirs publics », relève-t-il.

Plus globalement, le ministre réfute l’idée de pressions exercées par Kinshasa sur les médias. « Comment cela serait-ce possible, s’exclame-t-il, je ne connais pas de journalistes congolais qui soient favorables au M23 et qui devraient faire ainsi l’objet de pressions de la part des autorités. »

Lambert Mendé cantonne les interdictions d’émettre à des cas d’individus ayant rejoint la rébellion. « C’est comme si on laissait Al-Qaïda émettre à Paris », compare celui qui est aussi porte-parole du gouvernement. « Dire qu’il existe des chasses à l’homme envers les journalistes est complètement faux, il existe certains cas de procédures judiciaires, conclut Lambert Mendé, je ne connais pas beaucoup de pays frontaliers de la RDC qui peuvent en dire autant. »

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