Livre – Moncef Marzouki : « Parler d’une Tunisie islamiste relève d’une imposture »
Les prochaines élections ne sont pas encore fixées en Tunisie, mais le chef de l’État, Moncef Marzouki, publie un essai aux tonalités préélectorales. « L’invention d’une démocratie, les leçons de l’expérience tunisienne » paraît jeudi 11 avril en France.
Dans son ouvrage à paraître jeudi 11 avril, L’invention d’une démocratie*, le président tunisien n’oublie pas qu’il est médecin. C’est un véritable diagnostic qu’il fournit sur la naissance d’une démocratie dans un contexte complexe où il oppose les laïcs aux islamistes tout en fustigeant les extrémismes de tous bords.
Si le militant des droits de l’homme revient volontiers sur des temps forts qui ont marqué l’histoire politique de son pays, comme les accords du 18 octobre 2005 qui avaient réuni des formations politiques d’opposition aujourd’hui devenues ennemies, il signifie que tout est à revoir dans la maison Tunisie et s’oppose avec fermeté aux tentatives d’hégémonie politique.
Il n’apporte pas véritablement pour autant de nouvel éclairage sur les problématiques qui agitent le pays aujourd’hui et troublent la période postrévolutionnaire. Conciliant avec les islamistes, avec lesquels son parti, le Congrès pour la république (CPR), partage le pouvoir, il élude l’impact des violences perpétrées par les milices, comme les Ligues de protection de la révolution par exemple, et développe plutôt la nécessité d’un consensus national. Entre laïcs et islamistes, il souhaite une évolution semblable à la démocratie chrétienne des années 1960, en Europe.
L’auteur Marzouki souligne les difficultés à faire entendre raison aux uns et aux autres (…)
Pour contrer le risque de propagation du salafisme, le chef de l’État prône une action à long terme. « Puisque cette idéologie simpliste radicalise surtout les jeunes précarisés et défavorisés, nous serons plus efficaces dans notre combat contre ces extrémistes en relançant la machine économique et en mettant en place des politiques sociales, qu’avec un traitement purement sécuritaire. » Il reconnaît néanmoins les liens des salafistes avec certaines franges radicales du parti islamiste Ennahdha.
Avec le mouvement de Ghannouchi, l’ancien opposant précise que les divergences portent sur « quatre points du nécessaire pacte fondateur de la Tunisie démocratique » : « l’égalité complète entre hommes et femmes, la peine de mort, l’adoption et une liberté de conscience qui pourrait aller jusqu’au changement de religion ».
Marge de manoeuvre limitée
À quelques reprises, l’auteur Marzouki souligne les difficultés à faire entendre raison aux uns et aux autres sans pour autant revenir sur une orientation libérale de l’économie et un rôle moindre de l’État
S’il tente de se positionner au-dessus de la mêlée, il n’en avoue pas moins indirectement les difficultés d’une charge aux prérogatives limitées. Il plaide en faveur d’un régime mixte qui donnerait autant de pouvoir au chef de l’État qu’au chef du gouvernement. Confirmation d’ambitions futures ou tentative d’endiguer tout retour d’une dictature ? Dans tous les cas, Moncef Marzouki tente de rassurer « les extrémistes laïques, qui se sentent en insécurité, en étant intransigeant sur le respect des libertés publiques en général et de la liberté d’expression » et assène : « Parler d’une Tunisie islamiste ou d’une islamisation de la société relève tout simplement d’une imposture. »
Les Tunisiens ne seront sans doute pas de son avis. Ils avaient été choqués par les propos tenus, à la mi-mars, par Marzouki sur la chaîne qatarie Al-Jazira. Il avait alors stigmatisé les « extrémistes laïcs » en laissant entendre que s’ils opéraient un passage en force, ils seraient pendus haut et court. « Que signifie extrémisme laïc ? » s’interroge une opinion publique qui ne lira sans doute pas cet ouvrage. Car le choix d’une maison d’édition française plutôt que tunisienne a suscité une polémique et le livre fait déjà l’objet d’un appel au boycott en Tunisie.
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L’invention d’une démocratie, les leçons de l’expérience tunisienne, éd. La Découverte, coll. Cahiers Libres, 200 p.
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Par Frida Dahmani, avec Mathieu Olivier
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