Sénégal : le Christa, Cinema Paradiso à Dakar

En mémoire du cinéaste sénégalais Tidiane Aw, son fils Malick s’obstine à maintenir en vie le Christa, l’un des tout derniers cinémas de quartier encore en service à Dakar.

La salle du Christa peut accueillir 800 personnes. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

La salle du Christa peut accueillir 800 personnes. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

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Publié le 29 mars 2013 Lecture : 3 minutes.

En ce temps-là, le cinéma était une distraction prisée de la jeunesse dakaroise. À la fin des années 1980, sentant la retraite approcher, le cinéaste Tidiane Aw, précurseur de la télévision sénégalaise et directeur de la Cinémathèque, se lance dans un ambitieux projet. À la frontière des quartiers de la Patte d’Oie et de Grand Yoff, une zone encore en friche où quelques habitations éparses se dressent entre les dunes, il acquiert un terrain pour y bâtir un espace culturel. Son épouse Christa, d’origine allemande, animera une galerie d’art et d’artisanat africain, tandis que le bâtiment principal abritera une salle de cinéma de 800 places. Le rêve devient réalité en décembre 1995. En hommage à son épouse, Tidiane Aw baptise son cinéma le Christa.

Les premières années sont un enchantement. Dans ce quartier à la fois populaire et excentré, dont la population s’est densifiée depuis le début des travaux, l’ouverture d’un cinéma est une aubaine. Le centre-ville et ses distractions sont loin et pendant près de cinq ans, la salle fait le plein.

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« Il y avait la queue à chaque séance et nos recettes pouvaient atteindre 1,5 millions de francs CFA [2 300 euros, NDLR] par mois », se souvient Christa. Tidiane Aw semble sur le point de réussir son pari : faire exister un cinéma dans un quartier populaire tout en finançant sa carrière cinématographique.

Le rêve du père

Mais à l’aube des années 2000, une concurrence imprévue siphonne le public du Christa. « Quand Canal Plus a proposé un abonnement bon marché et qu’Excaf a lancé un bouquet de chaînes à prix modique, la fréquentation a chuté », explique la veuve du cinéaste. Les magnétoscopes puis les platines DVD font le reste. Et bientôt, Internet et les DivX viendront achever le mourant.

À la mort de Tidiane Aw, en 2009, Malick se refuse à regarder sombrer sans réagir le rêve de son père. « Fermer le Christa, ce serait le tuer une deuxième fois », affirme-t-il. Directeur d’un centre socio-éducatif en région parisienne, il prend un congé sans solde et revient s’installer au Sénégal. Depuis lors, sa vie se déroule entre les bâtiments de l’espace culturel Tidiane Aw, où on le retrouve en bleu de travail, un matin de mars, supervisant un groupe de maçons affairés. Tour à tour projectionniste, caissier ou chef de chantier, en fonction des besoins, Malick Aw a fait le vœu d’honorer l’héritage paternel en dépit d’un contexte qui a conduit la quasi-totalité des exploitants de salle de cinéma à mettre la clé sous la porte.

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Malick et sa mère Christa, qui donne son nom au cinema.

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© Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Le dévouement du quadragénaire frôle l’acharnement thérapeutique. Car depuis longtemps déjà, le Christa n’est pas viable. La recette quotidienne plafonne autour de 7 000 francs CFA par jour (10 euros), ce qui ne suffit pas à couvrir les coûts. Pour repousser l’échéance funeste, Malick et sa mère bricolent des solutions. Le vaste bâtiment où se dressait la galerie d’art est désormais loué afin d’engranger un revenu d’appoint. « Personne ne semble conscient que nous exerçons une mission de service public, se désole Malick Aw. Avec une subvention de seulement 5 millions de francs CFA par an [7 500 euros, NDLR], je pourrais être à l’équilibre. » Mais aucun mécène ne se bouscule au portillon.

Tandem Paris-Dakar

Il est vrai que la programmation du Christa ne relève pas franchement du cinéma d’art et essai. « Nous projetons surtout des films d’action, d’arts martiaux ou des policiers », admet Malick, selon qui les films sénégalais comme ceux récemment primés au Fespaco ne correspondent pas aux aspirations de son public. Pour les mécaniciens, les apprentis et les vendeurs à la criée qui fréquentent la salle (dont le prix des billets s’échelonne de 30 à 75 centimes d’euro), Tey-Aujourd’hui ou La Pirogue n’arrivent pas à la cheville d’un bon vieux film de kung-fu. « Ces gens-là viennent au cinéma pour s’évader, pas pour être confrontés à leur quotidien et s’apitoyer sur leur sort », analyse Malick Aw.

Dans le cadre du Tandem Paris-Dakar (dont J.A. est partenaire), qui s’est ouvert le 28 mars dans la capitale sénégalaise, les deux municipalités ont consacré une enveloppe de 4 500 euros à la rénovation partielle du Christa. Le 3 avril, à l’occasion du lancement du volet cinéma, Malick Aw projettera le dernier film de Michel Ocelot, Kirikou, les hommes et les femmes. Il veut espérer que l’effet de solidarité se poursuivra une fois que les lampions de la fête se seront éteints. À la mairie de Dakar – mieux vaut tard que jamais –, on se dit prêt à envisager une convention avec le cinéma moribond de Grand Yoff.

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Par Mehdi Ba, à Dakar

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