Quand les Africains investissent l’Afrique

Les firmes étrangères ne sont plus seules à s’intéresser au potentiel de l’Afrique. Fusions-acquisitions, nouvelles implantations… De plus en plus de groupes africains se projettent hors de leurs frontières… mais à l’intérieur du continent.

Le réseau panafricain Ecobank (ici son siège, à Lomé) couvre 36 pays africains. © Michel Aveline/JA

Le réseau panafricain Ecobank (ici son siège, à Lomé) couvre 36 pays africains. © Michel Aveline/JA

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 4 septembre 2013 Lecture : 6 minutes.

Il y a tout juste un an, Shoprite ouvrait son premier supermarché à Kinshasa. Cette implantation, la deuxième en Afrique francophone (après Madagascar) pour le leader sud-africain de la grande distribution, était passée presque inaperçue. Seuls quelques médias anglophones l’avaient commentée. Et pourtant, l’opération est une parfaite illustration d’un mouvement de fond en cours en Afrique : l’émergence de groupes à expansion-panafricaine infocapitaux locaux qui sortent de leurs frontières pour s’installer sur le reste du continent, dopant ainsi les investissements intra-africains.

C’est ce que montre l’étude « Africa attractiveness survey 2013, getting down to business » récemment publiée par Ernst & Young. D’après les analystes du cabinet international, les projets-investissement-panafricain info#000000;" />investissements directs réalisés par les Africains sur leur continent suivent la même tendance que ceux provenant d’Europe, d’Asie et des États-Unis. En valeur, ils sont encore inférieurs et progressent moins vite que les investissements directs étrangers (IDE), qui ont atteint près de 38 milliards d’euros en 2012, soit le double du volume reçu dix ans plus tôt. Mais en nombre de projets, souligne le cabinet, ils affichent une progression robuste de 32,5% par an entre 2007 et 2012. Une hausse deux fois plus élevée que celle des investissements provenant des pays émergents (hors Afrique) et quatre fois plus forte que celle issue des pays développés.

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Longueur d’avance

En somme, les Africains ont de plus en plus confiance en leur propre continent. L’expansion rapide des sociétés marocaines en Afrique de l’Ouest francophone est un bon exemple de ce phénomène. À l’instar de Shoprite, désormais présent dans seize pays, les groupes du royaume, en quête de nouveaux relais de croissance, ont multiplié les implantations et acquisitions dans cette région. En juin 2012, par exemple, Banque populaire a apporté près de 90 millions d’euros pour créer, avec l’ivoirien Atlantic Financial Group, un nouveau holding bancaire, Atlantic Business International. L’opération a permis au groupe marocain, numéro deux sur son marché domestique, de prendre pied dans sept nouveaux pays africains et d’emboîter le pas à ses compatriotes BMCE Bank et Attijariwafa Bank, qui ont une longueur d’avance.

Mais selon Ernst & Young, ce sont les Sud-Africains qui restent les champions des investissements intra-africains, avec un total de 235 projets d’investissement entre 2007 et 2012, soit une hausse globale de 57 %. Depuis 2003, près de 46 000 emplois ont ainsi été créés sur le reste du continent par les entreprises de ce pays. Et à une échelle internationale, la nation Arc-en-Ciel se classe, sur cette période, au cinquième rang derrière les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Inde. Rien qu’en 2012, les entreprises et institutions sud-africaines ont mené 75 opérations d’investissement, pour un montant de 1,1 milliard d’euros. Outre Shoprite, il faut compter avec l’opérateur télécoms MTN, Standard Bank ou encore d’autres enseignes de distribution comme Pick n Pay et Woolworths…MTN Junier-Didi-Kannah-JA

Après l’Afrique du Sud, « le Kenya et le Nigeria [notamment via leurs banques] sont les deux autres principaux investisseurs subsahariens en Afrique, écrit Ernst & Young. Mais nous prévoyons que d’autres pays, comme l’Angola, vont s’imposer au cours des prochaines années ». Les secteurs qui attirent les entreprises de ces pays sont multiples : télécoms, construction, grande distribution, hôtellerie, matières premières, agroalimentaire… « En fait, s’il y a une dimension sentimentale dans leur démarche, les groupes africains ont avant tout, comme les Occidentaux ou les Asiatiques, une motivation capitaliste, explique Jean-Luc Koffi Vovor, président du think thank Kusuntu le Club. Ils vont dans des secteurs de grande consommation et délaissent par exemple l’éducation, qui offre une faible rentabilité à court terme et reste ainsi le parent pauvre des investissements intra-africains. »

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Comparés aux groupes étrangers, les Africains ont un atout majeur : « Ils connaissent déjà le terrain [et ses particularités] pour l’avoir pratiqué et y avoir excellé dans leur pays d’origine, soutient Lindsey Domingo, responsable de la RD Congo chez Ernst & Young. Ils ont donc développé un savoir-faire qu’ils utilisent dans leur approche des marchés, des affaires et de la négociation. Et puis, ayant déjà expérimenté des difficultés courantes sur le continent [périodes d’instabilité, faiblesse des infrastructures routières et énergétiques…], ils ont une perception du risque différente. »

Catalyseur

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Cette montée en puissance des investissements intra-africains peut être un élément catalyseur pour attirer des montants encore plus importants de capitaux étrangers. « Il est difficile de demander aux étrangers de venir en Afrique si les Africains eux-mêmes n’y investissent pas », explique Vincent Le Guennou, patron du fonds Emerging Capital Partners. D’ailleurs, de plus en plus de groupes étrangers optent pour des stratégies de plateforme : ils investissent dans une société africaine qui porte ensuite leur développement à l’échelle du continent.

L’accélération des investissements intracontinentaux viendra aussi de l’émergence des fonds de pension et des fonds souverains sur le continent. L’Angola, qui grâce à ses revenus pétroliers vient de lancer un fonds de 3,7 milliards d’euros, a annoncé que ses premiers investissements cibleront l’industrie hôtelière en Afrique subsaharienne, l’agriculture, l’accès à l’eau potable, la production électrique et les transports. D’après les calculs de la banque d’affaires russe Renaissance Capital, le total des actifs des six plus grands fonds de pension africains devrait atteindre 465 milliards d’euros à l’horizon 2020. Et le plus important d’entre eux, le sud-africain GEPF (actuellement doté de 90 milliards d’euros), consacre déjà 1 % – et bientôt 5 % – de ce montant au reste de l’Afrique.

Une condition est cependant indispensable à un plus large développement des investissements intra-africains : « Les États du continent doivent davantage lever les barrières à la circulation des personnes, des biens et des capitaux », affirme Vincent Le Guennou. Autrement dit, il faut renforcer l’intégration régionale. 

Par ici la monnaie
Les places financières offshore tentent de s’imposer comme passages obligés pour les IDE vers l’Afrique.

Faites entrer les avocats ! Conséquence de la bonne santé économique de l’Afrique et de la croissance des flux de capitaux internationaux à destination du continent, le besoin de protéger les investissements et les revenus des entreprises, africaines comme étrangères, s’est accentué. D’après les Nations unies, en 2012, les investissements directs étrangers (IDE) en Afrique se sont élevés à 38 milliards d’euros, soit plus de deux fois leur niveau d’il y a dix ans. Et des pays comme Maurice, Singapour et le Luxembourg se livrent une concurrence acharnée pour se positionner comme hubs de transit de ces capitaux en développant des dispositifs de sécurisation adaptés.

Course

Selon le quotidien britannique Financial Times, ces places financières offshore négocient actuellement des accords allant dans ce sens avec les pays africains. Concrètement, il s’agit, via des accords de protection des investissements, de privilégier l’arbitrage en cas de différend et de réduire les risques de nationalisation en forçant le pays d’accueil à indemniser équitablement les investisseurs, et, via des Maurice SamuelZuder-Laif-Reaaccords de double imposition, d’éviter qu’un contribuable soit soumis à des impôts sur la même « matière imposable » dans deux États différents. « C’est une tendance forte, explique au Financial Times un banquier d’affaires spécialiste de l’Afrique subsaharienne. Bien que les accords sur la double imposition soient plus médiatisés, ce qui intéresse les investisseurs ce sont surtout les accords de protection des investissements. » Et dans cette course à la signature, Maurice a pris une longueur d’avance sur ses concurrents.

À titre d’exemple, l’île a déjà conclu cette année des traités de ce type avec le Congo, le Kenya et le Gabon. Elle a par ailleurs signé cinq accords sur la double imposition depuis 2010 : avec le Congo, l’Égypte, le Kenya, le Nigeria et le Gabon. Pendant ce temps, Malte, Chypre et Singapour ne disposent d’accords qu’avec une poignée de pays du Maghreb. D’après le Financial Times, l’Afrique du Sud et le Botswana veulent jouer un rôle similaire, à un niveau régional. Reste que si ces dispositifs destinés à rassurer les investisseurs ont permis à l’Inde et à la Chine d’attirer encore plus d’IDE (via les places financières offshore) dans les années 1990 et au début des années 2000, ils sont critiqués par les militants de la lutte contre la pauvreté, qui estiment qu’ils réduisent les revenus des États.

Joël Assoko

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