Cameroun : l’objectif de l’émergence sera-t-il atteint ?
Le Cameroun veut atteindre le statut de pays émergent en 2035. Si le programme est ambitieux, le potentiel existe. Le pays saura-t-il passer à la vitesse supérieure?
En 2035, le Cameroun comptera 30 millions d’habitants (contre 22 millions aujourd’hui), qui seront presque tous sortis de la pauvreté. Une bonne partie d’entre eux aura grossi les rangs des classes moyennes. Le pays produira des ingénieurs créatifs qui déposeront des centaines de brevets, ainsi qu’une élite bien formée imperméable à la corruption.
En 2035, plus aucune femme ne mourra en couches
Douala et Yaoundé seront devenus des métropoles modernes, bien organisées et interconnectées. Grâce aux tramways et aux trains régionaux, elles en auront fini avec les embouteillages et auront considérablement réduit les émissions polluantes dues aux tacots pétaradants du début du siècle. Les coupures d’eau et d’électricité ne seront plus que de lointains souvenirs, comme les problèmes d’accès aux soins et aux traitements. Aucune femme ne mourra plus en couches. Le taux de chômage des jeunes sera proche de zéro. Les investisseurs afflueront, les touristes aussi. Après des années de croissance à deux chiffres, l’évolution du PIB aura trouvé son rythme de croisière et, par effet d’entraînement, le dynamisme économique du pays profitera à l’ensemble de la sous-région.
Ce Cameroun de cocagne n’est peut-être pas une chimère. Car ce qui précède ne relève pas d’une fiction, mais de projections : celles de l’émergence, à l’horizon 2035. Un objectif que le gouvernement camerounais s’est fixé, présumant ainsi de sa capacité à relever les défis auxquels il est confronté aujourd’hui. Car vu les retards accumulés dans la mise en oeuvre des mesures indispensables pour atteindre, d’ici une vingtaine d’années, ses objectifs de développement économique et social, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Le vaisseau amiral de l’Afrique centrale n’est pas encalminé. Il bouge, mais trop lentement.
Des performances en dessous des attentes
Tel une belle endormie qui attend son prince charmant, le Cameroun ne semble guère pressé de prendre son destin en main. Premier PIB de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), le pays ne profite pas de l’ascendant naturel que lui confèrent sa situation géographique et ses ressources humaines et naturelles pour occuper la place qui lui revient.
Ses performances économiques ne sont pas négatives, mais restent largement en dessous des attentes. Au premier rang des déçus, le Fonds monétaire international (FMI), qui n’a pas manqué de le faire savoir au terme de sa mission au pays des Lions indomptables, en mai. La croissance du PIB a atteint 4,4 % en 2012 contre 4,1 % en 2011, une progression infinitésimale au regard du potentiel reconnu du Cameroun. Lequel n’y est, du reste, pas pour grand-chose puisqu’il doit cette évolution à la hausse des cours du baril.
Le taux de croissance pour 2013 sera lui aussi lié à la bonne tenue du prix du brut et devrait, selon les projections du FMI, s’établir à environ 4,8 %. À peine au-dessus de la petite moyenne de la zone Cemac (4,6 %), quand celle de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac) devrait s’établir cette année à 5,1 %. Le vaisseau amiral de la sous-région n’est pourtant pas encalminé. Il bouge, mais lentement. Trop lentement au goût de ceux qui croient en l’émergence de la Cemac. En dépit des critiques, rien ne semble pouvoir modifier cet agaçant rapport au temps.
Les observateurs de la vie politique n’ont pas eu d’autre choix que de s’adapter en s’armant de patience. Après la tenue, le 14 avril, des toutes premières élections sénatoriales du pays (lire pp. 69-72), il a fallu attendre deux mois pour connaître le nom du président de la Chambre haute, élu le 12 juin en séance plénière. Rien ne presse non plus pour ce qui concerne le renouvellement de l’Assemblée nationale : après avoir été reportée à trois reprises, la date des législatives (et des municipales) a finalement été fixée au 30 septembre.
Une stratégie pour la croissance et l’emploi
Attendre, c’est aussi le lot de plusieurs grands travaux d’infrastructures, dont la mise en oeuvre est pourtant cruciale pour apporter au pays quelques points de croissance dans les années à venir. Ainsi, malgré la mise à disposition des financements en 2011 – dont 87 milliards de F CFA (132,6 millions d’euros) de l’Agence française de développement (AFD) -, la construction du deuxième pont sur le fleuve Wouri n’a pas commencé. Très attendu à Douala, et jugé prioritaire par le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) élaboré en 2009 par le gouvernement, l’ouvrage de 850 m de long devrait désenclaver la rive droite de la ville et faciliter du même coup l’acheminement des produits agricoles de la campagne vers les distributeurs.
Attendue aussi, la banque agricole promise par le gouvernement aux paysans en juin 2011 et qui n’est toujours pas opérationnelle, à l’instar du Fonds de garantie pour les crédits des petites et moyennes entreprises (FOGAPME) promis aux PME. Les patrons ont bien attendu une décennie pour que la charte des investissements adoptée en 2002 entre en vigueur…
Subventions énergétiques
Depuis 2008, le prix de l’essence est gelé. Des subventions trop coûteuses selon le FMI.
On attend également que le gouvernement tranche la question cruciale des subventions sur les carburants. Depuis 2008, le Cameroun a gelé le prix du litre d’essence (569 F CFA) et de gasoil (520 F CFA), notamment pour éviter une explosion sociale. Résultat : le coût total des subventions énergétiques sur la période 2009-2012 a été de 944 milliards de F CFA (soit 7,3 % du PIB annuel du pays), un montant très largement supérieur aux prévisions budgétaires, qui tablaient sur 333 milliards (2,6 % du PIB). Des subventions « trop coûteuses », s’est s’insurgé le FMI, qui a demandé aux autorités de les remplacer progressivement par des programmes de transferts sociaux ciblant les plus démunis. Jusqu’à présent, Yaoundé résiste aux pressions du Fonds. Mais pour combien de temps encore ?
Enfin, outre les promesses qui tardent à se concrétiser, on ne compte plus les difficultés qui entravent l’activité économique : les retards dans l’accès au haut débit en dépit de la mise en service de la fibre optique, le report de la construction de routes et voies ferrées, l’insuffisance de l’offre énergétique, la réticence des banques à financer l’économie, la corruption du système judiciaire, les pesanteurs administratives, la remise à niveau des cadres par la formation professionnelle… Le chemin est encore long.
Pourtant, le réveil économique du pays ne semble pas relever d’une hypothèse de conte de fées. La stabilité de ses institutions, sa diversité climatique et culturelle ainsi que le dynamisme des Camerounais restent ses meilleurs atouts. Encore va-t-il falloir, pour accéder au club des émergents, travailler davantage.
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