Karim Bitar : « Les Palestiniens n’espèrent plus rien des États-Unis »
Barack Obama ne fait plus rêver grand monde au Proche-Orient, où il a effectué une visite de trois jours du 20 au 22 mars (Israël, Palestine, Jordanie). Porteur d’espoir en 2009, lors d’un discours au Caire, le président américain avait appelé à un « nouveau départ » dans la relation entre Washington et les pays musulmans. Mais, quatre ans plus tard, les Palestiniens semblent avoir abandonné leurs illusions, explique Karim Bitar, spécialiste du Proche-Orient à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Interview.
Le président américain Barak Obama a choisi le Proche-Orient pour effectuer les premières visites officielles de son second mandat. Tout d’abord en Israël où il ne s’était pas encore rendu, mais aussi à Ramallah, capitale de l’Autorité palestinienne et Amman en Jordanie. Si, dans son discours du Caire en 2009, la promesse d’un « nouveau départ » pour les relations entre les États-Unis et le monde musulman avait suscité certains espoirs parmi les peuples arabes, le manque de résultats concrets obtenus par le Nobel de la Paix 2009 n’a pu que décevoir. Mais pouvait-il en être autrement ? Directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste du Proche et Moyen-Orient, Karim Bitar décrypte la réalité des intérêts et les motivations de la politique de Washington dans la zone.
Jeune Afrique : Est-ce que les peuples de la région attendent encore quelque chose d’Obama ?
Karim Bitar : Ils attendaient déjà peu de choses des États-Unis mais on peut parler aujourd’hui de désillusion générale. Au-delà du désenchantement, les Palestiniens en particulier n’espèrent plus rien d’eux. Avec raison d’ailleurs : les États-Unis n’ont plus les moyens et la liberté d’agir comme avant. C’est une tendance de fond qui va s’imposer ces vingt prochaines années, la marge de manœuvre des puissances pour intervenir à l’extérieur est de plus en plus réduite car les contraintes matérielles, diplomatiques et domestiques ne cessent de croître.
La politique américaine au Moyen-Orient a-t-elle évolué ces dernières années ?
Depuis soixante ans la politique américaine dans la région obéit à deux grands axes : la sécurité d’Israël et la sécurisation des ressources énergétiques. Le soutien de Washington à Israël demeure quasi-inconditionnel, mais on assiste à une prise de distance progressive entre les Juifs américains, notamment les jeunes générations, et les politiques israéliennes : Netanyahou a appelé à voter Romney et la consigne a été suivie par 80% des Américains d’Israël, mais 70% des Juifs américains ont voté Obama. Il y a une vraie remise en question de la politique israélienne par beaucoup de Juifs aux États-Unis, y compris par des gens qui, comme Peter Beinart, avaient soutenu la politique néo-conservatrice de George W. Bush.
L’acquisition de l’indépendance énergétique pourrait amener Washington à reconsidérer ses relations avec les pays du Golfe.
Dans le domaine énergétique, un nouveau facteur pourrait aussi changer la donne : le rapport publié fin 2012 par l’Agence internationale de l’Énergie (AIE) annonce que les réserves d’hydrocarbures découvertes aux États-Unis en feront le premier producteur mondial de pétrole en 2020. L’acquisition de l’indépendance énergétique pourrait amener Washington à reconsidérer ses relations avec les pays du Golfe, mais cela n’aura pas lieu avant une quinzaine d’année et au-delà, la volonté de garder un certain contrôle sur les ressources énergétique de la région, dont les puissances chinoises et indiennes en pleine expansion ont un besoin croissant, devrait perdurer. Mais à court terme le statu quo devrait prévaloir.
N’y a-t-il pas un redéploiement de la politique extérieure américaine vers l’Asie ?
On assiste en effet au recentrage des relations internationales – stratégiques, politiques et économiques – vers l’Asie et Obama, qui va vouloir marquer l’histoire pour son deuxième mandat, va concentrer ses efforts dans cette direction. Il sait qu’au Moyen-Orient, c’est perdu d’avance et qu’il n’y a que des coups à prendre.
Washington semble s’être accommodé de l’accession des islamistes au pouvoir en Afrique du Nord…
En Égypte, il semble qu’on revienne au paradigme qui ordonnait les relations avec Moubarak : tant que Morsi respectera les lignes jaunes, à savoir le traité de Camp David et la sécurité d’Israël, les États-Unis lui lâcheront la bride. Les Égyptiens eux-mêmes constatent d’ailleurs la passivité d’Obama face aux dérapages de Morsi, qu’il s’agisse de l’autoritarisme grandissant, de la confusion des pouvoirs et même sur l’affaire des propos antisémites qu’il avait tenus il y a quelques années devant les caméras.
De manière plus générale, les États-Unis ont trouvé un modus vivendi avec les Frères musulmans et apparentés mais ils ne semblent pas prendre la mesure de la chute de crédibilité des Frères, en Égypte comme en Tunisie. En raison de l’incurie des gouvernements islamistes, on commence à voir les gens s’éloigner de l’islam politique voire même parfois de la religion tout court.
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Propos recueillis par Laurent de Saint Périer
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