Côte d’Ivoire : la guerre de leadership des chefs pro-Gbagbo exilés au Ghana

Les anciens dignitaires du régime de Laurent Gbagbo en exil au Ghana s’opposent sur la stratégie à suivre. Entre les partisans de la ligne dure et ceux du dialogue avec le pouvoir de Alassane Ouattara, les tensions sont de plus en plus vives.

Un meeting pro-Gbagbo, à Abdijan, en 2012. © AFP

Un meeting pro-Gbagbo, à Abdijan, en 2012. © AFP

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Publié le 19 mars 2013 Lecture : 4 minutes.

« Que ceux de nos frères qui sont allés au Ghana reviennent, parce que ça ne sert à rien d’aller souffrir en exil ». L’appel lancé le 9 mars par le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, lors d’une visite à Abengourou (est de la Côte d’Ivoire), « a eu une répercussion positive auprès des exilés, confie un membre du Front populaire ivoirien (FPI) exilé à Accra, qui a requis l’anonymat. Pour beaucoup d’entre nous, Soro a été plus ou moins un modèle. Certes, il y a eu des divisions, mais l’homme reste un mythe et ses appels font naître en nous beaucoup d’espoir ».

Aujourd’hui, les partisans du retour d’exil semblent de plus en plus nombreux. Ils se réunissent régulièrement, mais « discrètement, presque dans la clandestinité », raconte l’un d’eux. « Ceux qui souhaitent poursuivre la lutte nous font peur, nous intimident et profèrent à notre endroit des menaces », poursuit-il. Les anciens dignitaires du régime Gbagbo en exil ne s’expriment pas d’une seule voix. Au sein de la « galaxie des patriotes » à Accra, l’unité s’est peu à peu fissurée. Aujourd’hui, plusieurs groupes distincts s’opposent et se mènent en sourdine une guerre de leadership.

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Il y a d’abord ceux qui s’opposent à la direction du FPI en Côte d’Ivoire et à la politique menée par son président, Miaka Ourétto : revenir à la table de discussion et essayer d’obtenir les meilleures conditions pour que le parti puisse exister. « Si Miaka emmène le FPI aux élections, c’est une feuille morte », confie un proche de Gbagbo. Toujours animés par un désir de vengeance, ces pro-Gbagbos estiment que le régime d’Alassane Ouattara (qu’ils appellent « M.Ouattara ») est illégitime.

Double langage

Parmi eux, on retrouve notamment le porte-parole de l’ancien président ivoirien, Justin Koné Katinan (dont le procès à Accra doit reprendre le 27 mars), mais aussi Ahoua Don Mello, le porte-parole de l’ex-gouvernement Aké N’Gbo (Premier ministre du dernier gouvernement de Gbagbo), Damana Pickass, figure de la crise postélectorale, qui s’est illustré en arrachant les PV de la commission électorale indépendante, et Moussa Zéguen, autrefois à la tête du Groupement des patriotes pour la paix (GPP).

Leurs noms apparaissent dans le rapport des experts de l’ONU, publié le 15 octobre 2012, qui accrédite la thèse d’un commandement stratégique pour renverser le président Ouattara. Ces jusqu’au-boutistes sont regroupés au sein de la Coalition des patriotes ivoiriens en exil (Copie), dirigée par Pickass. « Ils préparent une série d’attaques ciblés sur certaines personnalités et des lieux qui, d’après eux, sont stratégiques pour l’affaiblissement du pouvoir en place », assure un exilé à Accra, qui a requis l’anonymat. Joint par Jeune Afrique, le leader de la Copie réfute une nouvelle fois ces accusations : « À chaque fois que le gouvernement a appelé au dialogue, nous avons répondu favorablement ».

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« Lorsqu’il est avec ses compagnons, Pickass prêche la violence et la guerre », rétorque notre source. Quelle que soit la réalité de cette ligne dure, un autre groupe a peu à peu émergé. Après avoir longtemps revendiqué la légitimité de la lutte contre le pouvoir de Ouattara, ses membres sont désormais plus enclins au dialogue et leur positionnement tend à se rapprocher de celui de la direction du FPI. Il y a parmi eux Assoa Adou (ex-ministre des Eaux et Forêts de Gbagbo, qui dirige aujourd’hui la coalition des cadres du FPI en exil), Hubert Oulaï (ministre de la Fonction publique et de l’Emploi dans le Gouvernement Soro I). Dans une lettre datée du 31 janvier, Assoa Adou a ainsi félicité Miaka Ouretto d’avoir « engagé des négociations avec le gouvernement ».

Suspicion

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L’arrestation de Charles Blé Goudé en janvier a exacerbé les divisions entre les deux tendances et fait resurgir les rivalités d’hier. « Ils ont de moins en moins d’argent, et maintenant que les autorités ghanéennes ont choisi de collaborer avec Abidjan, leur situation est plus compliquée », analyse Rinaldo Depagne, spécialiste de la Côte d’Ivoire à l’International crisis group (ICG). « En ce moment, la suspicion est de mise. Chacun voit en son voisin un traître, un ennemi d’une quelconque lutte », confie notre exilé.

Quelques heures seulement après l’extradition de Blé Goudé, Touré Moussa Zéguen l’a accusé d’avoir un accord avec les autorités ivoiriennes. Menacé à Accra par les proches de l’ex-« général de la rue », Zéguen réside toujours à Accra mais va de cache en cache. Orphelin de leur leader, les proches de Blé Goudé comme l’ancien secrétaire d’État, Dossol Charles Rodel, ou son ami Richard Dacoury, ne savent plus à quel saint se vouer, soupçonnant même des proches de Pickass (dont la rivalité avec Blé Goudé est de notoriété publique) d’avoir joué un rôle dans l’arrestation de l’ancien chef des jeunes patriotes.

Au milieu de cette guerre d’ego qui n’a pas fini de faire des vagues, on imagine aisément le désarroi des militants vivant pour la plupart dans des camps de réfugiés. Ceux-là n’attendent certainement qu’un signe, une simple poignée de main entre ennemis d’hier, pour rentrer au pays.

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Par Vincent Duhem

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