Affaire Boukary Daou : absurdités maliennes

Publié le 19 mars 2013 Lecture : 3 minutes.

Allez, transposons-nous quelques instants dans le 20e arrondissement de Paris. À la « Piscine », siège de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), les renseignements français. François Sénémaud, le grand patron, entame à peine sa journée, quand son secrétaire entre en trombe dans son bureau. « Monsieur, on a un problème ! » lâche-t-il en lui tendant Le Parisien du jour.

En page 8, une lettre ouverte. Signée B. Dupont, « militaire en opération au Mali ». En une dizaine de lignes, Dupont s’en prend aux « ronds de cuir » qui « palpent gros », pendant que lui, « troufion », se tanne la couenne sous le soleil de Kidal pour une « solde de m****e ». Dupont prévient, si rien n’est fait pour améliorer soldes et conditions de travail, ses camarades et lui plieront bagage et regagneront Paris, « prêts à assumer les conséquences de leurs actes ».

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C’est une affaire militaire, mais enfin, il s’agit tout de même de l’image de la France ! Furieux, Sénémaud appelle Didier Bolelli, directeur du renseignement militaire et les deux hommes décident de la marche à suivre : Thierry Borsa, directeur des rédactions du Parisien sera interpellé, conduit dans les locaux de la DGSE et questionné jusqu’à ce qu’il révèle sa source.

Stop. On s’arrête là. À ce stade, l’affaire devient trop compliquée : condamnation du Syndicat national des journalistes, marche des professionnels de la presse, grève des distributeurs sur toute l’étendue du territoire, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon qui descendent en flamme ces incompétents qui dirigent le pays, François Hollande obligé de se justifier, pendant que Vladimir Poutine pouffe de rire… Et franchement, Sénémaud a bien d’autres chats à fouetter. Traquer les jihadistes, par exemple. Certes, le canular est de très mauvais goût, mais il laissera le soin au renseignement militaire d’en démasquer l’auteur.

On aurait espéré que, dans le grand Mali, la Sécurité d’État ait "d’autres chats à fouetter".

On aurait espéré qu’il en soit de même dans le grand Mali, que la Sécurité d’État ait « d’autres chats à fouetter ». Pourtant, pendant une semaine, elle a détenu Boukary Daou, journaliste, directeur de publication du quotidien Le Républicain. Avant que celui-ci ne soit transféré, épuisé, à la prison centrale de Bamako et accusé « d’incitation aux crimes et aux tueries et de publication de fausses nouvelles ». Sa faute ? Avoir laissé publier la lettre ouverte d’un certain capitaine Touré, dont la teneur est de « nature à saper le moral des troupes », si l’on en croit la rumeur (puisqu’évidemment, il n’y a pas de motif officiel). L’argument a de quoi surprendre, quand on lit que l’auteur de la lettre se présente comme un « militaire du front ». Et que les seules personnes qu’il cite sont le président de la transition, Dioncounda Traoré (à qui il s’adresse) et le capitaine Amadou Haya Sanogo, chef des putschistes du 21 mars (et désormais président du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité). Deux personnalités qui n’ont visiblement pas su redonner confiance à cette armée déstructurée et laminées par ses premiers échecs en 2012.

Aujourd’hui Boukary Daou. Hier, Saouti Haïdara, Abderahmane Keïta et Chahana Takiou. On ne peut qu’être estomaqué quand on constate que la priorité est à la traque des journalistes, et non aux combats qui font rage entre les jihadistes et les troupes tchadiennes et françaises venues soutenir le Mali. On ne peut que se sentir en colère, quand on sait ce que taisent les journalistes pour préserver ce qui reste de dignité à l’armée. On est affligé de constater que, pour certains « ronds de cuir » de Bamako, il vaut mieux traquer le moindre écrit séditieux et s’en prendre à ceux qui osent les diffuser. De toute évidence, il vaut mieux casser une plume, que d’affronter les balles des jihadistes.

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