Sénégal : Macky Sall et le « legginggate »
Une rumeur qui se propage sur les réseaux sociaux depuis le 17 février affirme que le président Macky Sall aurait interdit le port des leggings et des jeans moulants au Sénégal…
C’est une légende urbaine à la sauce dakaroise, qui s’est d’abord répandue sur Facebook : Macky Sall aurait décidé d’interdire les « leggings » ! De commentaire en statut, la voici qui déboule sur Twitter dimanche dernier, où elle se met à métastaser d’un compte à l’autre. On la « retweete » – action consistant à republier le message d’un autre usager. On s’en amuse : « c l’une de mes seuls raison de vivre de voir une fille porter ça, stp [Macky] ne fait Pa ca ». On brode, les uns étendant l’interdiction aux « jeans moulants », aux « shorts », voire aux « minijupes », les autres évoquant une amende de « 6 000 francs [CFA] » pour les futures contrevenantes. On prophétise : « Vous voulez encore des émeutes ? » On critique : « Macky occupe toi des problemes du pays d’abords stp ». On s’indigne : « On est pas à Guantanamo » !
Mais globalement, on ne s’interroge pas vraiment sur la crédibilité de cette chasse au legging sans préavis, dans un pays où les tenues arborées par les femmes un soir de sortie feraient passer ce « collant sans pieds » pour un atour aussi osé qu’une combinaison de plongée. À quelques rares exceptions près – « Quelle est la source de cette information? », se demande un internaute -, l’idée que le président de la république du Sénégal puisse faire interdire en catimini le port d’un vêtement féminin par un simple arrêté ne fait pas tiquer grand-monde.
Commenter une rumeur, ce n’est pas du journalisme !
Dresser l’acte de naissance d’une rumeur relève de la gageure. Nous pensions être sur la bonne piste en exhumant, sur la « Page Sénégal » de Facebook (qui affiche près de 90 000 abonnés), à la date du 17 février, le statut suivant : « Le port du legging ou jeans moulants est désormais interdit par le président de la république à travers une mesure. Qu’en pensez vous ? » Mais notre satisfaction fut de courte durée. Contacté par téléphone, l’animateur de la page en question nous confie ne pas être à l’origine de « l’info », qu’il a lui-même « reprise de Facebook ».
Capture d’écran de la "Page Sénégal" de Facebook, le 19 février :
De son côté, le directeur de la publication d’un magazine people sénégalais part d’un grand éclat de rire quand nous lui expliquons que nous cherchons – religieusement – à retracer l’origine du « hoax ». Soucieux d’éviter tout amalgame entre ce type d’informations sans fondements et la publication qu’il dirige, ce vieux routier de la presse sénégalaise refuse d’être nommément cité. Il nous donnerait presque mauvaise conscience en nous lâchant sans ménagement que « commenter une rumeur, ce n’est pas du journalisme » !
Quant au responsable de la communication du président Macky Sall, son portable sonnera plusieurs fois dans le vide. Une contrariété vite digérée, puisqu’elle nous dispensera opportunément d’avoir à solliciter une réaction officielle de la présidence de la République, au risque de passer pour un hurluberlu usurpant l’identité d’un journaliste de Jeune Afrique. Une recherche minutieuse sur Google et sur le site officiel de la présidence nous permettront toutefois de constater que l’interdiction du legging au Sénégal – qu’on s’en réjouisse ou le déplore – n’est pas encore d’actualité.
Du "Jongomagate" au "Legginggate"
À défaut de parvenir à identifier l’initiateur inspiré du « Legginggate », nous devrons nous rendre à l’évidence que cette légende urbaine puise son inspiration dans une affaire qui a brièvement défrayé la chronique en janvier dernier. Lors de l’élection de Miss Dakar 2013, Oumy Gaye, une femme aux rondeurs assumées – ce qui lui avait valu un an plus tôt le titre de Miss Jongoma (qu’on pourrait traduire par « Miss Plantureuse ») – a défilé revêtue d’un legging bas-de-gamme. Les spots et les flashs des photographes aidant, sa tenue s’est révélée un peu trop transparente pour une partie de l’opinion sénégalaise. Un citoyen a même déposé une plainte pour « outrage public à la pudeur » avant de la retirer, mettant un terme au scandale.
Certes anecdotique, la rumeur du legging a pourtant connu récemment des précédents beaucoup plus tendancieux. À la mi-février, le site Leral.net prétendait ainsi révéler le « “complot” que les lobbies maçonniques et homosexuels préparent contre le Sénégal ». Selon ce portail Web, « une réunion regroupant les deux entités s’est tenue dernièrement dans la capitale ivoirienne », au terme de laquelle « une feuille de route pour amener le Sénégal à adopter le mariage gay [en 2018] et à accorder plus de liberté aux francs-maçons a été élaborée ». Un an plus tôt, au moment de la campagne présidentielle sénégalaise, qui se déroulait dans une ambiance tendue, une vidéo qui s’était répandue de manière virale sur Internet prétendait démontrer une gigantesque fraude au fichier électoral sur la base d’un bug informatique constaté dans la base de données du ministère des Élections.
Les légendes urbaines ne sont pas toujours bon enfant…
________
Par Mehdi Ba, à Dakar
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?