Diapo sonore : « Colonial Tour », sur les traces du Paris colonial
Dans le cadre de la semaine anticoloniale et antiraciste, les associations ont mobilisé des historiens pour offrir un tour de la capitale française hors des sentiers battus : à travers les hauts lieux de l’esclavage et du colonialisme. Visite guidée.
Il avait revêtu, pour l’occasion, l’attirail du parfait colon. Casque colonial beige, sifflet autour du cou : voilà Louis-Georges Tin, président du Conseil Représentatif des Associations Noires de France (Cran) paré pour jouer, avec les historiens Pascal Blanchard, Catherine-Vidrovitch, Giles Manceron et Marcel Dorigny, le guide d’un jour, lors du premier « Colonial tour » de Paris. Autrement dit, de la visite des lieux de la capitale française ayant un lien, incontestable mais souvent méconnu du grand public, avec l’esclavage et la colonisation. L’évènement était essentiellement réservé aux journalistes, qui se sont d’ailleurs déplacés en nombre, malgré le froid de cette matinée du 14 février.
Rendez-vous était pris, à 9H00, Place des Victoires (1er et 2e arrondissements de Paris). C’est là, que se trouvait jusqu’au milieu du 19è siècle, l’Hôtel de Massiac, où se réunissait un lobby de propriétaires d’esclaves de Saint-Domingue.
Paris Colonial from Elise Colette on Vimeo.
Le maire du 2ème arrondissement, Jacques Boultault (Europe écologie-Les verts), présent lui aussi, a tenu à défendre le concept du « colonial tour », qu’il assimile à « un coup de projecteur » participant à la « décolonisation de l’imaginaire des Français ». « C’est un combat à mener quotidiennement, pour que nous n’oublions pas tout cela. » L’occasion aussi pour l’eurodéputé écolo, Jean-Jacob Bicep, d’annoncer son intention de proposer au Parlement européen la mise en place d’une semaine de sensibilisation à l’esclavage et à la colonisation. « Il faut faire en sorte que les pays dans lesquels nous vivons passent vraiment dans l’ère postcoloniale », a-t-il déclaré.
En à peine un quart d’heure, les mains et visages sont déjà gelés. Les membres du Cran et de Sortir du Colonialisme, qui ont tout prévu, sortent de leurs gros sacs des thermos remplis de chocolat chaud Banania. « Il fallait bien ça pour nous réchauffer dans cet hiver prussien !», lance Louis-Georges Tin, qui dans la foulée, présente la marque de chocolat en poudre et son célèbre « Ya bon » né en 1915, célèbre référence publicitaire aux « gentils » tirailleurs sénégalais…
Après la politique – et la communication -, place enfin, à l’histoire… Ambiance bonne élève, avec cahier et stylos, la joyeuse troupe embarque dans le bus vert des années 1930, loué à la RATP pour l’occasion.
Direction rue de Vivienne, où se trouve le siège de l’ancienne Compagnie des Indes, fondée par Colbert au 17e siècle et haut-lieu du commerce triangulaire jusqu’à la fin du 18e siècle. Puis, l’Hôtel de la Marine, place de la Concorde (8e arrondissement). Le bâtiment a été très longtemps le secrétariat d’État à la Marine et aux Colonies. Là, où était « géré le système colonial », souligne Marcel Dorigny, maître de conférences à l’université Paris 8.
"Rendez les 21 milliards !"
Devant la Caisse des dépôts et consignations située dans l’étroite rue de Lille (7e arrondissement), l’escale sera plus longue. Aujourd’hui considérée comme le « bras financier de l’État» français, l’institution est depuis longtemps dans le collimateur du Cran. C’est elle, qui a encaissé pendant 125 ans, les paiements d’Haïti (150 millions de francs or de 1825, 21 milliards de dollars aujourd’hui), pour « dédommager » les colons suite à son indépendance en 1804. « Rendez les 21 milliards!», crie Patrick Farbiaz, président de l’association Sortir du colonialisme. Un chauffeur de poids-lourd coincé par l’attroupement lance des encouragements, les vigiles de la Caisse des dépôts se font, eux, de plus en plus méfiants… Face à une audience soudainement plus agitée, le président du Cran, distribue des biscuits Choco BN, fabriqués par la Biscuiterie nantaise, qui aurait pendant de longues années prospéré sur des capitaux issus du commerce triangulaire.
Vient ensuite, l’esplanade des Invalides et son Musée abritant le tombeau de Napoléon 1er. Ce dernier a rétabli l’esclavage en 1802, abolit par la Révolution, quelques années plus tôt. Dans le bus, Pascal Blanchard, historien et président de l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine (Achac) fait un point rapide mais enflammé sur les zoos humains et les expositions coloniales. Ces dernières étaient organisées, non loin de là, à Vincennes, où le bus, faute de temps, ne se rendra pas. Le Jardin des plantes, où fut exhibée au début du 19è siècle la Vénus Hottentote, ou encore le théâtre du Châtelet (1er arrondissement) où furent jouées de nombreuses pièces glorifiant les conquêtes coloniales françaises, seront-elles aussi sacrifiées à la ponctualité et à la pluie devenue battante.
Tant de lieux, de bribes d’une histoire française, qui « n’est pas celle des autres, selon Pascal Blanchard. C’est la nôtre, celle si difficile, encore, à regarder pour de nombreux Français.»
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Élise Colette
Haby Niakate
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