Étonnants voyageurs : littérature et politique à Brazzaville

 Du 13 au 17 février, Brazzaville acueille Étonnants voyageurs, le festival international du livre et du film . Au programme de cette édition 2013 : « L’Afrique qui vient ». Reportage.

« L’Afrique qui vient » est le thème du premier festival Étonnants Voyageurs de Brazzaville. © Francis Kodia/Génération Elili

« L’Afrique qui vient » est le thème du premier festival Étonnants Voyageurs de Brazzaville. © Francis Kodia/Génération Elili

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Publié le 15 février 2013 Lecture : 3 minutes.

Engagement, rapports à la langue française et à la colonisation, influences de l’exil, fonction sociale de la littérature, développement des nouveaux modes de communications… Sous les arbres du Palais des Congrès de Brazzaville, les participants au Festival international du livre et du film, Étonnants voyageurs, sont entrés dans le vif du sujet dès le 14 février au matin. Pour lancer les quatre jours de débats, rencontres, concerts, projections et conférences qui doivent se dérouler à travers toute la ville sur le thème « L’Afrique qui vient », les organisateurs avaient choisi de réunir trois jeunes écrivains venus de différents pays du continent pour évoquer les mutations du roman africain. Installé en Autriche mais originaire de République démocratique du Congo, Fiston Nasser Mwanza a ainsi pu discuter avec l’auteur de polars gabonais Janis Otsiemi et le Sénégalais Felwine Sarr. Et c’est sans doute ce dernier qui a le mieux résumé les préoccupations de la jeune génération d’auteurs africains qui, sans se détacher complètement du politique, le placent désormais à l’arrière-plan de créations se voulant plus ouvertes aux préoccupations existentielles. « Il n’y a que sur notre continent que l’on demande aux écrivains d’écrire sur des thèmes qui seraient politiquement urgent, explique Sarr. Mais je pense qu’il n’y a pas de frontière claire : si je veux écrire sur des préoccupations intimes, je peux le faire, sachant de toute manière que le réel qui est le nôtre m’influence. Il n’y a pas de dichotomie puisque l’on cherche généralement à aller au-delà des préoccupations personnelles. » Confronté à la question du génocide rwandais, Sarr s’est refusé à une écriture engagée, qui aurait manqué de franchise. « J’ai fait, pour des raisons personnelles, plusieurs allers-retours au Rwanda. Mais je ne me suis pas senti assez légitime pour faire œuvre de témoignage alors que je n’avais pas vécu le génocide. » La génération précédente n’avait pas les mêmes préventions et elle l’a fait, parfois même avec talent si l’on pense, entre autres, au travail du Guinéen Tierno Monenembo.

La langue française, un instrument

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Si l’engagement brut, direct, est ainsi mis à distance, il en va de même de la vieille problématique du rapport à la langue française. « Nous ne sommes pas nés sous la colonisation, notre situation est différente de celle de nos aînés, affirme Fiston Nasser Mwanza. La langue française est simplement un outil de travail. » Et il ajoute : « Enfant, je rêvais d’être saxophoniste. Mais à Lubumbashi, il n’y avait pas d’école de musique, alors avec le temps, le français est devenu un saxophone et les mots sont devenus des notes. » La langue française est un instrument, certes, mais un instrument dont il convient de maîtriser toutes les harmoniques. Janis Otsiemi, auteur du Chasseur de lucioles, explique : « Parfois, les mots ne traduisent pas la réalité qui est la mienne et je suis contraint de faire appel à des « gabonismes » pour rendre compte de la société dans laquelle je vis. » Felwine Sarr s’accorde de son côté une liberté stylistique « pleine et entière » pour trouver le mot juste, sans jamais être « contraint par les canons littéraires. » En cela, aucun d’eux n’aurait été désavoué par le maître que fut Ahmadou Kourouma.

Et si leurs styles sont radicalement différents, trouver le mot juste, trouver le propos juste reste au cœur de leur démarche. « L’urgence la plus fondamentale est de restaurer notre propre image, analyse Sarr. Certains nous somment de nous définir par rapport aux chiffres du PIB ou du PNB comme si c’était là l’essentiel alors que cela nous confine dans une situation de handicap. La pauvreté ne nous définit pas, les questions liées à la matérialité ou au confort ne nous définissent pas. Nous devons aussi imposer notre propre temporalité. » Chassez le politique, il revient au galop… L’écrivain et ambassadeur de la République du Congo en France, Henri Lopès, ne disait pas autre chose, quelques heures plus tard, lors de l’ouverture officielle du festival émaillée par les revendications très applaudies d’une jeune écrivain militant en faveur de sans-abris congolais « contraints de dormir dehors dans un état pétrolier ». Critiquant une vision parfois trop pessimiste de l’Afrique, il disait ainsi – en écrivain et en diplomate – : « Rassurez-vous, vous n’êtes pas ici au cœur des ténèbres, mais à quelques kilomètres de l’équateur où brille l’astre le plus lumineux de notre univers. »

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Nicolas Michel, envoyé spécial à Brazzaville

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– "L’Afrique qui vient", Étonnants voyageurs, festival international du livre et du film, du 13 au 17 février 2013.
 

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