Tunisie : assassinat de Chokri Belaïd, l’onde de choc

Sarah Ben Hamadi est journaliste et blogueuse tunisienne.

Publié le 13 février 2013 Lecture : 3 minutes.

Que c’était terrible de se réveiller en apprenant l’assassinat de Chokri Belaïd, secrétaire général du mouvement des Patriotes démocrates, leader de la coalition de gauche Le Front Populaire et figure emblématique du militantisme politique. La nouvelle a résonné comme un séisme dans toute la Tunisie et marqué un véritable tournant dans sa transition. Il y aura désormais un avant et un après 6 février 2013.

Devant la clinique où il a été transporté, sur l’avenue Habib Bourguiba à Tunis, quelques heures après l’annonce de sa mort, et deux jours plus tard à son enterrement, la foule, sous le choc, n’a cessé de grandir pour crier sa colère. « Le peuple veut la chute du gouvernement ! », « Ennahdha Dégage ! », « Ghannouchi assassin ! », les islamistes au pouvoir ont cristallisé la colère des centaines de milliers de personnes venues rendre un dernier hommage à Chokri Belaid au cimetière Jallez, vendredi 8 février.

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Les protestations ont éclaté dans plusieurs villes où les locaux du parti ont été saccagés et brûlés. À l’évidence, si on ne connaît pas encore le coupable, le responsable est lui déjà désigné : le gouvernement dirigé par une coalition tripartite dominée par Ennahdha. Ce gouvernement sous lequel la violence a été banalisée, voire même justifiée dans certains cas.

Un groupuscule controversé s’autoproclamant « La ligue de protection de la révolution » sévit en toute impunité. Pis, il a le soutien du parti au pouvoir. N’est-ce pas Rached Ghannouchi qui le qualifiait de « conscience de la révolution » au lendemain de l’attaque du local de la centrale syndicale, dont il a été le principal accusé ?

La crise tunisienne ne date pas de cette semaine. Les tensions sont vives depuis plusieurs mois, et le gouvernement, incapable de répondre aux attentes de la population, brandit la carte de la « légitimité des urnes » à chaque contestation. Entre tâtonnement et arrogance, il s’isole au fil des mois. La colère elle, grandit. Le gouvernement manque gravement de compétences et peine à redresser la barre.

Il a échoué à rétablir l’économie, à racheter la paix sociale, à maintenir la sécurité, à entamer la justice transitionnelle, à réformer les institutions et à entretenir un climat politique sain. En difficulté, le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, promet un remaniement ministériel et mets des mois à négocier pour se retrouver au final, dans une impasse.

Le CPR et Ettakatol étaient sensés partager un projet et une vision d’avenir avec Ennahdha, ils n’ont fait que se partager les portefeuilles.

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En un an de pouvoir, Ennahdha a prouvé son incapacité à gouverner. Peut-on alors parler d’échec islamiste ? Pas vraiment. Le parti de Rached Ghannouchi, vainqueur des élections du 23 octobre 2011 avec une majorité relative, n’est au pouvoir que grâce au soutien des deux partis de gauche, le Congrès pour la République (CPR) et Ettakatol. Ces deux derniers sont tout autant responsables de la dégradation de la situation. Ils étaient sensés partager un projet et une vision d’avenir, ils n’ont fait que se partager les portefeuilles.

Le soir de l’assassinat de Chokri Belaïd, le Premier ministre Hamadi Jebali, miné par l’échec des négociations, annonce sa décision de former un gouvernement de « compétences nationales non partisanes ». Une décision prise « sans concertation avec la troïka » et guidée par sa « conscience » pour le « l’intérêt du pays ».

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Paradoxalement, le secrétaire général d’Ennahdha bénéficie du soutien de l’opposition mais pas de celui de son propre parti, ni celui du président Marzouki, son allié. Pour la première fois, les divisions au sein d’Ennahdha, parti réputé uni et discipliné, sont visibles. L’usure du pouvoir sans doute.

Deux ans après la chute de Ben Ali, les Tunisiens poursuivent leur combat pour la liberté et la dignité. Le chemin semble long et semé d’embûches. Avec ce premier assassinat politique, le bateau tire une bordée dangereuse, mais ne coule pas. Pas encore. La Tunisie reste debout, mais jusqu’à quand ?

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