Internet : le jihad s’explique en français
Pour l’islamisme radical, qui est en plein développement au Sahel, la langue de Molière pourrait prendre de l’importance. Sur la Toile, le jihad s’explique aussi en français, afin de ne pas épargner l’Afrique francophone et sa diaspora.
La propagande en ligne de l’islamisme radical n’est pas une donnée nouvelle. Elle s’étale depuis de longues années sur les forums et, plus récemment, sur les réseaux sociaux avec les Shebab somaliens et Ansar Eddine notamment. Traditionnellement anglophone, surtout depuis le 11 septembre 2001, le jihadisme numérique s’est également converti à la langue de Molière. Alors qu’on dénombrerait quelque 5000 sites du genre dont seulement une vingtaine en français*, ces derniers pourraient se multiplier avec l’importance de plus en plus flagrante du Sahel, et donc de l’Afrique francophone, pour l’islamisme radical.
Le juge Marc Trévidic, spécialiste de la question terroriste et auteur de Terroristes, les sept piliers de la déraison (JC Lattès, janvier 2013), redoute ainsi le lancement d’un « jihad individuel » au Mali. « Jusqu’ici, le djihad était arabe et les candidats noirs traités avec un peu de mépris par les islamistes », explique-t-il. « Avec le Mali, l’émergence d’un "black djihad" est à redouter. »
Éléments de langage
Se présentant comme un « site islamique francophone », la plateforme Ansar al Haqq est un bon exemple de cette propagande en ligne. « Ce forum est ouvert à toute personne désirant acquérir de modestes connaissances sur la religion authentique de l’Islam », explique le site en page d’accueil.
Mais c’est un contenu beaucoup plus radical qui est accessible sans inscription préalable. Notamment les « communiqués officiels audios et vidéos de nos frères MujahidÄ«n », y compris Ansar Eddine qui y déclare « surveiller Bamako ». Si l’augmentation du nombre de sites liés à la situation du Nord-Mali est encore officiellement difficilement observable, le Mali occupe clairement, en ce mois de janvier, une place de choix dans les discussions. Mercredi 23 janvier, trois messages, parmi d’autres, ont d’ailleurs été postés sur le forum en rapport avec l’actualité malienne :
– « L’incompétence des troupes africaines »
– « Le grand racisme de l’armée malienne »
– « Campagne médiatique de soutien au Mali »
Et, dans ce dernier message, c’est tout un manuel de communicant qui s’adresse aux supporteurs du jihad au Sahel. L’un des auteurs explique ainsi à ces apprentis qu’ils doivent remplacer, quand ils partagent un article de presse, les mots « guerre », « intervention », etc… par l’expression « croisade française antimusulmane au Mali ».
Maintenir ces sites en ligne : un bon outil pour prendre la température
La France est donc en première ligne et n’échappe pas aux menaces, que les membres du forum sont chargés de véhiculer grâce à des images d’une subtilité douteuse, allant jusqu’aux photos de cadavres de soldats occidentaux décédés.
Mais le danger est-il réel pour la France de voir se développer sur ce genre de forums un islamisme radical et francophone ? A en croire les services anti-terroristes, le risque est très faible. Au-delà de diatribes anti-françaises, le pouvoir de nuisance de ces jihadistes numériques ne dépasse sans doute pas la cacophonie nauséabonde.
Cependant, et c’est bien la raison pour laquelle ces plateformes ont toujours pignon sur web, les services de renseignement ne réclament pas leur fermeture. «Ils permettent de prendre la température et déceler les profils les plus inquiétants », reconnaît ainsi une source au ministère de l’Intérieur, citée dans Le Figaro.
Avec la percée des jihadistes dans le Sahel francophone, l’islamisme radical a réactivé des filières de recrutement en France, dont l’importance reste encore à déterminer. Au moins trois jihadistes de nationalité française ont ainsi été stoppés sur le chemin du Nord-Mali en 2012 et on évoque au maximum quelques dizaines de combattants actifs venus de France. Mais l’intervention militaire décidée par François Hollande n’aidera sans doute pas aidé à réduire le phénomène.
*selon le chercheur Marc Knobel, qui publiait, en mai 2012, L’Internet de la haine.
Par Mathieu Olivier (@MathieuOlivier)
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