#unbonjuif, Twitter et les associations anti-racisme : la justice reporte son jugement
La bataille est engagée entre les associations de lutte contre le racisme et Twitter. Et, pour le moment, la justice française a choisi, mardi 8 janvier, de ne pas trancher. Alors que l’Union des étudiants juifs de France, notamment, réclamait qu’elle oblige le réseau social à lui communiquer les données nécessaires à l’identification des comptes ayant publié des tweets antisémites, celle-ci a reporté sa décision au 24 janvier.
Le tribunal de grande instance (TGI) de Paris n’a pas encore tranché. Mardi 8 janvier, celui-ci a mis en délibéré sa décision dans l’affaire qui oppose Twitter et des associations de lutte contre le racisme, au 24 janvier prochain. L’Union des étudiants juifs de France (UEJF), SOS racisme, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), qui ont assigné le réseau social américain en justice, espère que la justice française l’obligera à communiquer les données nécessaires à l’identification des auteurs de tweets antisémites, via le hashtag #unbonjuif.
L’UEJF, en première ligne, souhaite également pousser le site de microblogging à mettre en place un dispositif permettant aux utilisateurs de signaler les contenus illicites « tombant sous le coup de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine raciale ». Twitter pourrait ainsi être tenu de supprimer les contenus illicites signalés ou, à défaut, de payer une astreinte de 10 000 euros par jour de retard et par infraction constatée.
La bulle #unbonjuif
La mesure n’aurait rien d’anecdotique tant les dérives racistes ont été légion sur le réseau social, en particulier depuis octobre 2012. Des messages tels que « Un bon juif est un juif mort » ou « Un bon juif est un dur à cuire » avaient alors envahi Twitter suite à la création du hashtag #unbonjuif, très vite automatiquement promu comme un des sujets de discussion préférés (Trend Topic) du réseau.
Or, la bulle n’a, depuis, cessé d’enfler, et la liste des hashtags antisémites, racistes ou homophobes de s’allonger. #siJetaisNazi, #SiMaFilleRameneUnNoir, #SiMonFilsEstGay, #unbonmusulman… Nul besoin d’exemple pour imaginer le déferlement d’immondices longues de 140 signes. Une vague nauséabonde, qui a provoqué l’ire des associations de lutte contre le racisme, puis leur action en justice.
« Symptôme acceptable » ?
Et cette bataille juridique ne fait en réalité que commencer. D’un côté, le réseau social américain affirme sur son blog que, s’il « ne partage pas toujours l’opinion de ses utilisateurs », il s’efforce « de laisser circuler librement l’information indépendamment du contenu » sans supprimer « de tweets sur la base de leur contenu ». De l’autre, l’UEJF, dont le président, Jonathan Hayoun, estime, dans une tribune sur le site du Nouvel Observateur, que « Twitter est un lieu où les garde-fous contre la haine semblent être devenus inexistants, et où ceux qui la distillent se sentent en totale impunité ». « En ces temps de crise, on nous demande de comprendre que ces bruits virtuels ne sont qu’un symptôme acceptable de la libération de la parole, alors qu’ils ont plutôt le parfum nauséabond des réelles dérives totalitaires qui s’en prennent à des boucs émissaires », s’indigne-t-il.
Faut-il sacrifier la lutte contre le racisme sur l’autel de l’anonymat et de la liberté d’expression ? La justice française pourrait apporter un premier élément de réponse, le 24 janvier. Mais la question est loin d’être tranchée. Notamment au niveau légal, Twitter estimant ainsi être soumis à la législation américaine alors que ses détracteurs expliquent que, « face à la banalisation de la parole raciste », selon les mots de l’avocat de SOS Racisme, le réseau social doit « baser sur le droit français son logiciel en français ». Lors de l’audience, mardi 8 janvier, l’avocate de Twitter, Me Alexandra Neri, a fait valoir que « les données [étaient] collectées et conservées aux Etats-Unis » donc soumise à la loi américaine. « Dois-je me soumettre à la loi des différents pays où j’exerce ? Je ne sais pas », a-t-elle conclu.
Par Mathieu Olivier (@MathieuOlivier)
Twitter et le flou juridique
Le cas est-il rare ?
Non, la procédure judiciaire en cours n’est pas une exception pour Twitter. Le réseau social fait en effet l’objet de plus en plus de demandes de communication de données d’utilisateurs. Selon un rapport publié le 4 juillet dernier, 849 requêtes avaient été enregistrées, dont 679 proviennent d’ayants droit, d’organismes gouvernementaux ou de tribunaux d’Amérique du Nord. Seule une dizaine proviendrait de France.
Quelle est la différence entre les législations française et américaine ?
Dans le cadre d’une enquête, un juge français peut requérir la communication de toute information figurant sur le site sans avoir à justifier d’un pouvoir particulier, sous peine d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende pour l’hébergeur, en l’occurence Twitter (article 6-2 de la LCEN, loi pour la confiance dans l’économie numérique). La procédure est sensiblement la même aux États-Unis. Cependant, le quatrième amendement protège contre des perquisitions et saisies non motivées et requiert un mandat pour toute perquisition. Il permet à Twitter d’obliger la justice à produire des justifications extrêmement précises.
Quelle est la position de Twitter ?
« Les règles de fonctionnement de Twitter stipulent que les utilisateurs sont propriétaires des contenus qu’ils émettent. Nous défendons fermement nos utilisateurs et leurs droits », assure la société américaine qui ne cesse de défendre la « vie privée » des twittos. Néanmoins, une décision d’un juge new-yorkais pourrait faire jurisprudence. Il a estimé, en juillet 2012, que les messages ne constituaient pas des informations privées et n’étaient donc pas soumis à la garantie constitutionnelle qui protège la vie privée. « Si on poste un tweet, c’est comme si on crie à la fenêtre, l’objectif n’est pas de garder cela privé », a-t-il écrit. Twitter est cependant pour le moment dans un flou juridique, son avocat, Me Alexandra Neri, parlant d’un « énorme vide, un point d’interrogation ».
M.O.
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