Un Congolais au pays des marabouts

Carnet de route de Trésor Kibangula, journaliste à Jeune Afrique.

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Publié le 3 janvier 2013 Lecture : 3 minutes.

Une petite photo en noir et blanc trône sur le tableau de bord. L’effigie d’un homme tout de blanc vêtu tenant un bâton dans sa main droite. Regard vide et barbe blanche. « C’est mon marabout », me lâche le taximan avant de démarrer.  En sourdine, la prédication en wolof d’un khalife nous accompagne de la Pointe des Almadies  au marché de Sandaga. Ça change de la rumba congolaise et du ndombolo dans les taxis et « combi » de Kinshasa. Bienvenue à Dakar !
Ici, la religion, mieux la confrérie, prime sur la musique, voire sur tout.  « Moi, je  fais partie de Tidjanes, ajoute le chauffeur. Et lui, m’indiquant l’homme de la photo, c’est le représentant de notre communauté. » Autrement dit, le guide spirituel de la confrérie. Rien avoir avec ces autres marabouts, féticheurs ouest-africains pour la plupart, qui tiennent des cabinets de voyance prétendant résoudre tous nos problèmes dans tous les domaines de la vie : amour, mariage, fécondité, virilité, « retour immédiat de l’être aimé », …

À Dakar, tout le monde a son marabout. Une particularité de l’islam sénégalais sûrement. Un islam constitué de différentes confréries dans lesquelles des milliers de croyants se réclament d’un guide spirituel commun. Au marché, Alou qui vend des tee-shirts estampillés « Sénégal » ne fait pas bande à part. « Mon marabout se nomme Ahmadou Bamba. C’est le fondateur de la confrérie de Mourides à laquelle j’appartiens », m’explique-t-il, avant de se lancer dans une longue homélie des pouvoirs mystiques de quelques Seringe qui se sont succédé à la tête de la confrérie mouride depuis l’époque coloniale. « Notre guide spirituel a même marché plusieurs fois sur les eaux », persiste-t-il après avoir remarqué mon air dubitatif. Décidément, Jésus-Christ a fait des émules sur la terre de la Teranga…

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Ici, on ne jure que par le nom de son marabout. C’est à lui qu’on doit avant tout allégeance, respect et considération. Son nom, comme celui de tous ses successeurs, revient dans presque toutes les conversations. On dirait Simon Kimbagu à la sénégalaise. Ce religieux congolais considéré par ses fidèles comme … le Saint-Esprit. Et comme les Kimbaguistes à Nkamba, dans le Bas-Congo, les Tidjanes disposent également de leur ville sainte à Tivaoune et les Mourides à Touba. Là-bas, ce sont des marabouts qui font régner la loi.

Faiseurs de rois

Mais, au-delà de ces petits coins de sainteté, les marabouts sénégalais disposent également d’une grande aura dans les autres sphères de la vie publique, surtout en politique. Tels des faiseurs de rois en puissance. Abdoulaye Wade ne s’en cachait pas. L’ancien président sénégalais affirmait haut et fort demeurer un « disciple » des marabouts mourides. Macky Sall, lui, a promis la rupture. Le nouveau président voudrait que les marabouts redeviennent des citoyens ordinaires. Pas évident, même si les langues commencent peu à peu à se délier pour dénoncer certains abus de ces hommes longtemps considérés comme des saints intouchables.

Une affaire en particulier continue à faire grand bruit dans les rues de Dakar. « Un marabout est en détention », murmure Alou, avec un brin d’indignation à peine voilée. L’incriminé s’appelle Cheikh Béthio Thioune, le guide des Thiantacounes. La justice sénégalaise aurait des raisons de croire à son implication dans le meurtre en avril dernier de deux de ses disciples, retrouvés morts aux alentours de sa maison.

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Les déboires judiciaires de Béthio Thioune n’entament pour autant pas la confiance des Sénégalais à leurs marabouts. À quelques pas du marché, un attroupement autour d’un hangar installé pour la circonstance. Quatre personnes sont assises devant un groupe d’adeptes bien attentifs. Au milieu, des nattes. À tour de rôle, chacun s’approche, se prosterne. Le marabout lui met la main sur tête et prononce quelques mots. Le tour est joué. On se lève et on laisse la place aux autres. Tout le monde y passe. Ou presque. Car derrière la scène se faufilent des passants qui se dirigent vers Sandaga. Tranquillement. Ainsi va le pays des marabouts.

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