Hollande en Algérie : la vérité sur le passé, pour mieux préparer l’avenir
Le 19 décembre, François Hollande a été reçu en grande pompe à Alger par son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika. Récit d’une journée bien remplie.
C’est à 13 heures précises que l’avion présidentiel de François Hollande se pose sur le tarmac de l’aéroport Houari Boumédiène d’Alger. Pas un nuage et un soleil radieux pour des retrouvailles très attendues. Alors que le président français, sa compagne Valérie Trierveiler et trois des ministres du gouvernement (Fabius, Le Drian, et Valls) sont accueillis en haut de la passerelle par Abdelaziz Bouteflika et André Parant, ambassadeur de France à Alger, les autres membres de la délégation sortaient par l’arrière de l’appareil.
Visiblement tout heureux d’être du voyage, le comédien Kad Merad, né en 1964 à Sidi Bel Abbès d’un père algérien et d’une mère française, immortalise la scène sur son portable. Dans l’avion présidentiel, l’humoriste avait déjà fait beaucoup rire. « Ce n’est pas votre premier voyage officiel, je crois… » lui a glissé, un brin perfide, Hollande. Réponse de l’humoriste : « J’étais avec Sarkozy, je suis avec vous, et je ferai le voyage suivant ».
Exit le traité d’amitié, vive la Déclaration d’Alger
À l’issue de leur entretien, Bouteflika et Hollande ont signé la Déclaration commune d’Alger sur l’amitié et la coopération. « La France et l’Algérie sont déterminés à ouvrir un nouveau chapitre de leurs relations, cinquante ans après l’indépendance du pays, peut-on y lire en préambule. Les deux parties partagent une longue histoire et ce passé a longtemps alimenté entre nous les conflits mémoriels auxquels il est nécessaire de mettre un terme. Elles doivent pour cela regarder le passé en face, ensemble avec lucidité et objectivité tout en recherchant une voie originale permettant une lecture objective de l’histoire ». Exit donc le traité d’amitié signé par Chirac et Bouteflika en 2003 mais jamais ratifié. Les deux présidents souhaitent construire un partenariat exemplaire. Dans cette perspective un comité intergouvernemental a été mis en place par les deux premiers ministres. La France et l’Algérie ont aussi convenu de favoriser le plus largement possible la mobilité de leurs ressortissants. Mais, l’accord de 1968 ne sera pas revu et, en privé, certains responsables français indiquent qu’il n’y aura pas plus de visas accordés.
La Déclaration d’Alger marque aussi la volonté des deux États de construire un espace euro-méditerranéen de paix et de sécurité, de démocratie, de justice et de liberté, de développement et de prospérité. Hollande a reconnu que l’Union pour la Méditerranée (UPM) ne pouvait avancer tant que des préalables ne seraient pas levés. Selon lui, l’organisation a été trop ambitieuse en voulant traiter la question du Sahara occidental ou celle du conflit israélo-palestinien. Il souhaite relancer d’autres cadres de coopération comme le dialogue 5+5 et le processus de Barcelone.
Sur le tarmac, les autres ministres du gouvernement saluent les journalistes. « On se croirait de retour en campagne électorale », lance en plaisantant un membre de la délégation à des journalistes français. Mais, très vite, le moment devient plus solennel avec l’artillerie algérienne qui sonne vingt-et-un coups de canon. Puis viennent les hymnes nationaux et le passage en revue des troupes (air, mer, terre) par les deux chefs d’État.
"Tous les sujets"
Du côté algérien, la visite a été très minutieusement préparée. Les autorités ont fait repeindre les façades des habitations et nettoyer les artères d’Alger. Arrivés au centre ville, les deux présidents s’offrent un bain de foule sur le boulevard du front de mer. Youyous traditionnels, cavaliers, coup de fusils et jeté de pétales de fleurs par les habitants aux balcons. Côte à côte, les deux dirigeants vont alors entamer une promenade de 300 mètres et serrer des mains tandis qu’un cortège de ministres les suivent dans la bonne humeur. Manuel Valls et Yamina Benguigui ne peuvent s’empêcher, eux aussi, d’aller saluer la foule.
Une vingtaine de minutes plus tard, les deux présidents rejoignent la résidence d’État de Zéralda pour un long entretien. Un tête-à-tête de près de deux heures, les ministres des deux pays ne les rejoignant que pour les trente dernières minutes. « Nous avons abordé tous les sujets », a confié Hollande. Comprendre : la question mémorielle, l’enquête sur les moines de Tibehirine, la coopération bilatérale, les crises internationales… Au sortir de la rencontre, le président français a déclaré à la presse qu’il n’était pas venu « ici pour faire repentance ni excuses », ni pour « ouvrir les placards ».
« Vérité sur le passé, vérité sur la colonisation, vérité sur la guerre avec ses drames, ses tragédies, vérité sur les mémoires blessées », a-t-il précisé. « Mais en même temps, volonté de faire que le passé ne nous empêche pas, au contraire, de faire le travail pour l’avenir. Le passé doit, dès lors qu’il est reconnu, nous permettre d’aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin pour préparer l’avenir. C’est ce que je dirai demain aux parlementaires algériens et, au-delà, aux Français et aux Algériens ».
Hollande a aussi expliqué que le président Bouteflika n’entraverait pas le travail de la justice française et algérienne sur l’assassinat en 1996 des sept moines de Tibéhirine. Autre sujet abordé : l’indemnisation des victimes d’essais nucléaires dans le Sahara algérien. Le chef de l’État a reconnu que la loi du 5 janvier 2011 n’avait peut-être pas été appliquée avec suffisamment de détermination mais qu’elle le serait à l’avenir.
Sur la crise malienne, Hollande a confié qu’il avait avec Bouteflika « une convergence de vue sur la nécessité de faire tout pour favoriser le dialogue politique mais uniquement avec les forces qui rejettent le terrorisme. (…) Nous sommes aussi pour que le gouvernement malien participe à la réunification », a-t-il rappelé, en soulignant qu’une intervention serait à l’initiative de l’armée malienne avec l’appui d’une force ouest-africaine.
En fin d’après midi, le président a rendu visite à la communauté française à la Villa des Pins, résidence de l’ambassadeur de France. Il a encouragé ses compatriotes à partager le nouvel âge de l’amitié franco-algérienne, tout en plaisantant. « Vous avez choisi de vous installer en Algérie pour des raisons autres que fiscales. En termes d’optimisation, il y a peut-être mieux ».
Maroc et Tunisie en 2013
Hollande a achevé sa journée par la signature avec son homologue algérien de la Déclaration d’Alger (voir encadré) et supervisé la signature d’accords de coopération : un document cadre de partenariat sur la période 2013-2017, des instruments d’approbation de l’accord de défense, un mémorandum de coopération financière, une convention de partenariat dans les domaines de l’agriculture, du développement rural et de l’agroalimentaire, une déclaration conjointe pour un partenariat industriel et productif… Sur ce registre, les deux parties ont travaillé le lexique, parlant de coproduction, de mutualisation des savoir-faire et des compétences, de transferts de technologies. Un comité de mixte de suivi des relations économiques bilatérales doit également être institué.
La première journée de la visite s’est donc déroulée sans le moindre accroc. Suivra celle du discours devant les parlementaires algériens qui devrait être boycotté par quelques députés islamistes. Lors du tête-à-tête présidentiel, Hollande a encore invité Bouteflika à se rendre en France pour une visite d’État, au moment opportun. « Il pourra s’adresser à la France en intervenant au Parlement », a-t-il précisé. Et pour ne pas faire de jaloux, le président français a annoncé qu’il se rendrait au Maroc et en Tunisie en 2013.
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Par Pascal Airault, envoyé spécial à Alger
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