Affaire Mahé : un aquittement et trois peines de prison avec sursis pour les militaires français

Seuls trois des quatre militaires français accusés de l’assassinat en 2005 d’un coupeur de routes présumé, l’Ivoirien Firmin Mahé, ont été reconnus coupables. Mais le jury ne les a pas condamnés à de la prison ferme, contrairement à ce que demandait l’avocate générale.

L’ancien militaire Guy Raugel (g) et son avocat à la cour d’assises de Paris, le 4 décembre 2012. © Francois Guillot/AFP/Archives

L’ancien militaire Guy Raugel (g) et son avocat à la cour d’assises de Paris, le 4 décembre 2012. © Francois Guillot/AFP/Archives

Publié le 7 décembre 2012 Lecture : 7 minutes.

Le verdict est tombé, vendredi 7 décembre, dans le procès des quatre militaires français de la Force Licorne qui ont reconnu avoir tué un présumé coupeur de route, Firmin Mahé, en Côte d’Ivoire, le 13 mai 2005. Les principaux accusés, le colonel Burgaud qui avait donné l’ordre de tuer et l’adjudant-chef Raugel, qui l’avait exécuté en étouffant la victime, écopent respectivement de cinq et quatre ans de prison avec sursis. Le brigadier-chef Schneir, qui avait aidé Raugel en maintenant le corps de Mahé, est quant à lui condamné à un an avec sursis. Quant au brigadier Ben Youssouf, qui conduisait le véhicule blindé où se sont déroulés les faits, il est aquitté.

À l’énoncé du verdict, les proches de Firmin appelés à témoigner et plusieurs personnes d’origine ivoirienne venus dans la salle de la cour d’assises ont provoqué un scandale, dénonçant une sentence raciste, criant « injustice », « honte à la France », et agitant des sacs poubelle. La salle a dû être évacuée pendant que les magistrats, le jury et les militaires français y restaient confinés en attendant que le calme revienne. « Alors que nous avons prouvé qu’il n’y avait aucun preuve pour dire que Firmin Mahé était un criminel, ce verdict est tout un symbole… Et je n’en dirai pas plus », a simplement déclaré à J.A. Me Ndoumou, l’avocat des proches de la victime.

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Le jury n’a donc pas suivi le réquisitoire de l’avocate générale, Annie Grenier, qui avait demandé, la veille, que les quatre accusés soient déclarés coupables. Elle avait requis une peine de cinq ans d’emprisonnement pour Burgaud ; cinq ans, dont deux avec sursis pour Raugel ; deux à trois ans avec sursis pour Schneir ; et six mois avec sursis pour le brigadier Ben Youssouf.

Comment un colonel, comme cet homme-là a-t-il pu donner un tel ordre ? Comment Raugel, avec ses plus de vingt ans dans l’armée a-t-il pu l’exécuter ?

Annie Grenier, avocate générale

« Je pense effectivement que Mahé était un individu dangereux. Plusieurs villageois l’ont désigné et les semaines qui ont suivi sa mort, les exactions ont diminué », avait-elle déclaré. Mais sa convergence avec la défense sur la culpabilité de la victime n’a pas été plus loin. « Comment des militaires ont-ils pu en arriver là ? » s’est-elle interrogée. « Comment un colonel, comme cet homme-là a-t-il pu donner un tel ordre ? Comment Raugel, avec ses plus de vingt ans dans l’armée a-t-il pu l’exécuter ? »

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Pour elle, le contexte difficile de la Côte d’Ivoire de l’époque ne rend pas légitime un acte illégal. « On essaie de nous dire qu’il n’y avait pas d’autre solutions. Bien sûr que si ! » Firmin Mahé aurait pu être emprisonné et jugé, explique la magistrate. Même pour Schneir et Ben Youssouf, les moins gradés, elle explique que « la contrainte n’était pas irrésistible » et a demandé une condamnation pour l’exemple, « pour tous les autres militaires ». Car « il y a des fois où il faut réfléchir, des fois où il faut désobéir ».

Le jeudi 6 décembre avait également été consacré aux plaidoiries de la défense. Avant de commencer à parler, Me Alexis Gublin avait regardé dans les yeux son client, le colonel Éric Burgaud. Postés face à face, pendant quelques secondes, ils n’ont pas échangé le moindre mot et ont fait chacun à leur tour un hochement de tête. Ce moment-là, ils l’avaient plus que préparé, ils l’avaient attendu sept ans durant.

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La plaidoirie durera près d’une heure 30. Comme les trois autres avocats de la défense, Me Alexis Gublin a plaidé certes pour son client mais aussi et surtout pour l’ensemble des accusés. Comme s’ils ne formaient qu’un. « Nous arrivons à la fin de cette affaire, du moins pour vous », a-t-il déclaré en s’adressant à la cour et aux jurés. « Jusqu’à leur dernier souffle, ces hommes vivront avec. Cela fait désormais partie intégrante de leur vie ».

"Le temps suffit"

Tout au long de cette après-midi du 6 décembre 2012, la défense s’efforcera de montrer l’humanité des accusés, leurs fragilités, de raconter leurs « vies brisées » depuis l’éclatement de l’affaire et enfin leur « dignité » d’avoir assumé leur geste. « Jugez-le comme vous aimeriez être jugé. Ni plus ni moins. Bien sûr que ce qu’il a fait est mal. Bien sûr, on peut faire des choses mal sans être un salaud ! » a fini par lâcher Me Gublin. Avant de conclure : « le temps suffit à punir ceux qui portent le remords. »

Me Trémolet de Villers, avocat de Guy Raugel, a quant à lui affirmé : « Le soldat, qui peut donner sa vie et peut donner la mort pour protéger une population, déteste la donner. C’est un paradoxe, mais c’est celui du vrai soldat ! » Pour lui, Guy Raugel, qui a enfilé le sac plastique sur la tête de Firmin Mahé et l’a entouré de ruban adhésif, a fait ce geste « contre son être profond, sinon il ne serait pas tant habité par cela » aujourd’hui.

Guy Raugel est allé au bout pour la Côte d’Ivoire, pour les Ivoiriens !

Me Trémolet de Villers, avocat de Raugel

Il a décrit un homme qui se punit lui-même depuis sept ans, et à qui infliger une peine de prison serait « criminel ». « Guy Raugel, l’Africain » l’appelait-on lorsqu’il était en Côte d’Ivoire, a-t-il affirmé. Lui, à qui « on a remis un boubou lorsqu’il est parti !» serait tombé amoureux de l’Afrique. En tuant Mahé, « il est allé jusqu’au bout pour la Côte d’Ivoire, pour les Ivoiriens. »

« C’est la République française qui a mis ces soldats dans ce merdier et qui les y a laissés pour éviter un génocide… Il faut tout dire, sinon ce n’est pas juste ! Il faut mettre tous les acteurs, donc l’autorité politique aussi ! Mais pas Guy Raugel, qui ne peut être le seul à être condamné. Est-ce ça l’exemplarité d’une décision ? » a -t-il ajouté.

Quant au brigadier Schneir – qui a tenu le corps de Mahé pour qu’il ne puisse bouger -, « qu’aurait-il dû faire ? » demande son défenseur, Me Balan. « Tirer sur Raugel ? Évidemment non. » Pour lui, s’il est condamné, cela veut dire que les soldats de base, les peu gradés, deviendraient non seulement de la chair à canon, « de la chair à canon judiciaire. (…) Ils ont réagi de façon profondément humaine, pas comme des criminels », a-t-il dit.

« Je plaide ici pour un enfant de Mayotte… simple brigadier… l’aîné de huit frères et sœurs dont quatre ont donné des militaires à l’armée française », a déclaré pour sa part Me Morain, l’avocat du brigadier Ben Youssouf. Lui qui conduisait le véhicule, le jour du meurtre, « n’a rien vu ». Et pourtant, depuis cet évènement, sa vie est une véritable « dégringolade » : une rupture, le chômage… « Je vous demande de ne pas ajouter l’erreur judiciaire, à l’inhumanité. » Il a été entendu.

Firmin Mahé, dont on parle si peu

Et puis, il y a la victime: Firmin Mahé, dont on n’a finalement si peu parlé. « Firmin Mahé, quel qu’il soit, quel qu’il fut ; après sa mort, les choses se sont arrangées. Si une seule vie a été sauvée, je me dis que cela est suffisant », ira même jusqu’à dire Me Gublin. Comme l’avocate générale, Annie Grenier, quelques heures plus tôt, lors de son réquisitoire, il évacue donc rapidement les doutes sur l’identité et les actes criminels de Firmin Mahé.

Dans la salle, où pour la première fois depuis le début du procès, l’air s’était réchauffé, les proches de Firmin Mahé ont gardé leurs manteaux, leurs gros pulls et sont restés recroquevillés sur leur banc. Présents en France depuis moins d’une semaine, l’adaptation n’a pas dû être facile. Et même lorsque l’avocat du brigadier-chef Schneir, Me Balan a déclaré qu’il « n’avait aucune sympathie envers la partie civile », ils n’ont pas réagi. Sans tout comprendre, sans doute, ils ont écouté, sagement. Avant d’exprimer leur indignation, le jour du verdict.

Le matin du 6 décembre, leur avocat, Me Ndoumou, avait été le premier à ouvrir le bal. Une plaidoirie conforme à la stratégie suivie tout au long du procès, centrée sur l’identité de Firmin Mahé. Pour lui, les soldats français n’avaient pas de preuves évidentes que Firmin Mahé était un criminel terrorisant les populations, massacrant femmes et enfants. Ils se sont trompés de personne mais s’en sont rendu compte trop tard. Il ne leur restait plus qu’à échafauder une histoire, un « scénario », pour sauver les meubles. « Ils avaient une patate chaude entre les mains quand ils ont su qu’il y avait eu méprise ! » s’est-il emporté.

Venu équipé d’un sac poubelle et d’un cutteur, avec lequel il n’a pu entrer dans la salle, Me Ndoumou a voulu illustrer la barbarie du crime commis.

Il prend l’exemple du témoignage d’Adèle Dito, maire de Bongolo, qui a confirmé que le Firmin Mahé tué était bien un « coupeur de route » et a témoigné au procès, en faveur de la défense. « Elle n’a, en réalité, jamais vu Firmin Mahé, elle n’a jamais vu les membres de sa famille ! » Venu équipé d’un sac poubelle et d’un cutteur, avec lequel il n’a pu entrer dans la salle, Me Ndoumou a voulu illustrer la barbarie du crime commis. Il y avait de l’idée… L’effet, lui, sera moins convaincant. Brandissant le sac poubelle, il s’est adressé au colonel Burgaud et lui a dit : « Vous êtes un bon chrétien, comme il a été dit lors de ce procès. "Tu ne tueras point", n’est-il pas l’un des commandements ?… Où sont donc passées vos convictions religieuses ? »

Lors des plaidoiries, bien sûr, l’absence sur le banc des accusés du général Henri Poncet  – qui dirigeait la Force Licorne à l’époque des faits – a été fustigée par les avocats. Lui qui aurait donné le premier l’ordre de tuer Firmin Mahé, selon la défense et qui après avoir été mis en examen, a bénéficié d’un non-lieu définitif dès 2010. Pour les avocats de la défense, juger et condamner les quatre militaires n’avait aucun sens, si les véritables donneurs d’ordre, dont les décideurs politiques, ne l’étaient pas aussi.

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