Les Medays 2012 et les clés de la crise malienne

Le forum des Medays de l’Institut Amadeus s’est tenu à Tanger du 14 au 17 novembre. L’occasion pour les invités du think tank marocain d’étudier les différents conflits qui secouent l’Afrique et le Moyen-Orient, au premier rang desquels la crise malienne.

Brahim Fassi Fihri, président de l’Institut Amadeus, en 2010 à Tanger. © Abdelhak Senna/AFP

Brahim Fassi Fihri, président de l’Institut Amadeus, en 2010 à Tanger. © Abdelhak Senna/AFP

Publié le 19 novembre 2012 Lecture : 5 minutes.

Aéroport de Tanger, 7 heures, le 18 novembre. L’ancien juge antiterroriste français, Jean-Louis Bruguière, l’ex-Premier ministre centrafricain, Martin Ziguelé, le général américain Robert Gard, le professeur invité à l’Institut de Hautes études internationales et du développement, Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, attendent leur vol à destination de l’Europe.

La veille au soir s’est achevée la cinquième édition du forum Medays organisé par l’Institut Amadeus, un think tank marocain spécialisé dans les relations internationales. Plus de 150 participants ont planché durant trois jours sur les dessous et les perspectives de règlement des grandes crises internationales (Mali, Syrie, conflit israélo-palestinien). Et ce dimanche matin, dans le salon d’honneur de l’aéroport de Tanger, les personnalités présentes poursuivent les discussions autour de la situation au Sahel.

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Invité surprise des Medays, le Premier ministre malien, Cheick Modibo Diarra, a fait une brève apparition à Tanger pour rappeler la feuille de route de la Cedeao : sécurisation des grandes villes, adoption de la prochaine résolution de l’ONU ouvrant la voie au déploiement d’une force ouest africaine, collaboration des pays de la sous-région et des grandes puissances en matière de renseignement et de formation de l’armée malienne, préparation de l’opération de reconquête du Nord. Autant de préalables au retour de l’administration et de la sécurité dans les zones septentrionales du pays avant d’organiser un scrutin présidentiel « libre, crédible et transparent ».

Appels à la paix pour la Syrie et Gaza

Les débats tangérois n’ont pas porté que sur le Mali, mais aussi sur l’actualité, les ressorts et les perspectives de sortie de crise des conflits israélo-palestinien et syrien. La déclaration finale des Medays a condamné les bombardements de Tel-Aviv à l’encontre du peuple palestinien de la bande de Gaza et, plus globalement, le recours à la force au Moyen-Orient. Elle a également appelé la communauté internationale à œuvrer sans relâche au retour de la trêve et au règlement du conflit israélo-arabe dans le cadre de la légalité internationale sur la base d’une solution à deux États souverains et d’un retour aux frontières de 1967.

Concernant la Syrie et en perspective de la prochaine réunion du Groupe des amis du pays, prévue le 12 décembre à Marrakech, la déclaration de Tanger appelle à soutenir les efforts de médiation de l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU, Lakhdar Brahimi, afin d’assurer la protection de la population civile syrienne contre les violences perpétrées par les deux camps. P.A.

Fédéralisme

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On l’attendait aussi, le 17 novembre, au panel sur « la poudrière sahélo-saharienne : Quel rôle pour les acteurs régionaux et les grandes puissances ? » Mais il s’est éclipsé la veille, au grand dam des journalistes, pour rejoindre Ouagadougou où il s’est entretenu avec le médiateur de la Cedeao dans la crise, Blaise Compaoré. À l’issue de son entretien, Diarra a affirmé qu’il était prêt au dialogue avec Ansar Eddine, un des groupes islamistes armés occupant le nord du Mali, et la rébellion touarègue du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). « L’objectif des médiations burkinabè et algérienne est de désolidariser Ansar Eddine d’Aqmi et de le rapprocher du MNLA pour reconstituer un bloc touareg qui serait en mesure de négocier avec Bamako un certain niveau de fédéralisme », explique uns spécialiste du dossier malien. 

En privé, à Tanger, les proches de Diarra laissaient pourtant entendre que la position d’Ansar Eddine, qui souhaite toujours imposer la charia dans son fief de Kidal, n’était pas négociable. Une position également partagée par le maire de Gao, Sadou Diallo, qui a critiqué l’ouverture des négociations au Burkina avec les deux mouvements armés. « La Cedeao doit intervenir sans chercher à négocier », a indiqué l’élu à l’AFP durant les Medays, avant de rejoindre Bamako où il a trouvé refuge. Au Nord, ça n’est pas une rébellion, c’est du terrorisme… Notre population vit un calvaire, des viols, des flagellations ».

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Du côté du MNLA, on doute de la réalité des bons sentiments d’Ansar Eddine. « Nous sommes sur le même territoire et nous avons une importante communauté touarègue en notre sein, explique l’un des représentants politiques du mouvement indépendantiste. Mais nous sommes opposés à leur revendication religieuse. Le MNLA prône la laïcité et appelle à l’organisation d’un referendum d’autodétermination ainsi qu’à l’ouverture de négociations avec le gouvernement du Mali. Pour que l’on accepte de discuter avec Ansar Eddine, il faudrait qu’il décide de tourner le dos à la violence et ait des revendications politiques à l’image des partis à référentiels islamiques du nord du Sahara ».

Au Maroc, Diarra a également sollicité l’appui des autorités du royaume pour faire valoir ses positions au Conseil de sécurité, où le Maroc siège actuellement. Il a aussi demandé leur aide pour se rapprocher des pays du Golfe. Que cherche le chef du gouvernement dans les riches émirats pétroliers ? Une aide financière ? Des armes pour son armée ?

Reprendre la main

Isolées sur la scène internationale, ayant l’impression que le dénouement de la crise se déroule au-dessus de leur tête, les autorités maliennes aimeraient reprendre la main alors que le processus de sortie de crise leur échappe. Pas sûr qu’elles y parviennent. « On est devant un phénomène extrêmement sérieux avec des risques de contamination de la corne de l’Afrique à l’Est jusqu’à l’Ouest du continent », explique l’ancien juge antiterroriste français, Jean-Louis Bruguière. De quoi justifier l’implication des grandes puissances qui souhaitent éradiquer une menace terroriste qui s’est extrêmement fragmentée ces dernières années.

Les groupes armés de la zone prolifèrent à la faveur des rançons de prises d’otage ainsi que des trafics de drogue et de migrants et semblent s’être largement émancipés d’Al-Qaïda. « Il s’agit plus de narcotrafiquants que d’illuminés religieux, précise un diplomate ouest-africain. Le plus grand danger est que ces groupes armés passent des alliances avec les cartels de la drogue déjà présents en Afrique de l’Ouest ».

L’opération militaire africaine au Mali présente des risques. Sur le terrain, il y a 202 000 réfugiés, 204 000 déplacés internes, 16 otages, quatre groupes armés différents.

Quoiqu’il en soit, l’opération militaire africaine au Mali présente des risques. Sur le terrain, il y a 202 000 réfugiés, 204 000 déplacés internes, 16 otages, quatre groupes armés différents. Selon les spécialistes, la reconquête pourrait entraîner une nouvelle configuration. « Les forces régionales et étrangères ont de quoi reprendre les grandes villes aux mains des groupes armés, explique l’un deux. Mais ces derniers se retireront dans les zones rocailleuses et le désert et reviendront à la charge en menant des actions de guérilla, en prenant des otages chez les militaires de la Cedeao et en organisant des attentats contre les puissances belligérantes ».

Pour l’ancien ambassadeur du Mali à l’ONU et ex-ministre des Affaires étrangères, Moctar Ouane, l’’intervention est pourtant nécessaire mais ne résoudra pas le problème dans son intégralité. « La communauté internationale ferait bien de réfléchir au développement socio-économique de tout l’espace sahélien et à la cohabitation entre ses différentes communautés ».

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Par Pascal Airault, envoyé spécial à Tanger
 

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