Sébastien de Courtois : « Les chrétiens de Syrie appellent constamment à la paix »

Historien spécialiste des chrétiens d’Orient, Sébastien de Courtois fait le point sur la situation d’une communauté souvent soupçonnée de collusion avec le régime de Bachar al-Assad. Interview.

Une messe à Damas, le 1er mai 2011. © Louai Beshara/AFP

Une messe à Damas, le 1er mai 2011. © Louai Beshara/AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 12 novembre 2012 Lecture : 5 minutes.

Né en 1974 et juriste de formation, Sébastien de Courtois se dirige vers l’histoire à la veille de l’an 2000 et se passionne pour l’étude des minorités chrétiennes d’Orient. Après un DEA à l’École pratique des hautes études (EPHE) en 2001, il rédige plusieurs études et récits de voyage sur le sujet (Périple en Turquie chrétienne, Presses de la Renaissance, 2009 ; Le Nouveau défi des chrétiens d’Orient, d’Istanbul à Bagdad, JC Lattès, 2009,…) Entre Paris et Istanbul, il effectue actuellement un doctorat à l’EPHE, est membre de la société française des explorateurs et collabore à plusieurs magazine français (Figaro Magazine, Grands Reportages, Géo, Famille Chrétienne, Réforme, Le Monde de la Bible). Pour Jeune Afrique, il détaille son analyse de la situation difficile des chrétiens de Syrie dans la crise qui ensanglante le pays.

Jeune Afrique : La Syrie est-elle en guerre civile ou s’agit-il toujours d’une guerre du régime contre les civils ?

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Sébastien de Courtois (en photo, ci-contre) : Cette question n’est pas encore résolue. Je crois que le climat change et l’esprit qui a soufflé dans les premiers mois de cette révolte séculière est en train de s’essouffler. Ce n’est pas une remarque de fond mais un constat. Personne ne se demande pourquoi l’Armée continue à se battre avec autant d’ardeur alors qu’il s’agit d’une armée de conscription. La peur et la crainte du régime n’expliquent pas tout. Il faut aller plus loin et sortir des idées préconçues des « très gentils » et « très très méchants ».

Du point de vue chrétien, il n’y a pas de guerre communautaire, beaucoup font le dos rond et attendent que l’orage passe, c’est ainsi pour les membres de cette communauté comme pour des milliers d’autres Syriens de toutes les confessions. S’il y a une revendication religieuse, elle est clairement du côté de certains opposants qui n’hésitent pas à se réclamer du fondamentalisme musulman. En ce sens, l’influence du Qatar et des Saoudiens est néfaste. Ils portent avec eux une vision rétrograde et insupportable de l’islam. Ils sont responsables directement de la destruction des lieux saints de La Mecque – oui vous avez bien entendu – et des lieux soufis au Mali ou en Libye.

Quelle est la position majoritaire des clergés chrétiens de Syrie sur la crise ? La position très révolutionnaire du père Paolo Dall’Oglio et celle, très pro-régime, de la mère Agnès-Maryam de la Croix font-elles exception ?

Il est très difficile de répondre à cette question. Je crois que, comme dans tous les groupes humains, vous avez autant d’opinions que d’individualités. Je retiens surtout de mes entretiens avec les chrétiens de Syrie que tous détestent cette guerre car elle les jette de fait dans les bras du régime. Chacun de ces deux intervenants (Dall’Oglio et de la Croix) défendent des positions qui ont du sens, même si mon cœur va bien entendu dans la direction du père Paolo. Les évêques appellent à la paix, le métropolite syriaque d’Alep a fait une déclaration en ce sens avec le grand mufti de la ville. Ils savent de quoi ils parlent : n’oubliez pas que l’histoire des chrétiens d’Orient n’a pas toujours été facile. Ils ont l’habitude d’une certaine manière… Ils sont l’âme de ces pays, de la Syrie surtout. Il ne faut pas qu’ils partent.

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Les chrétiens sont-ils globalement perçus par l’opposition comme soutenant le régime ?

Les chrétiens ne soutiennent pas le régime, il faut casser cette idée. Ils ne le soutiennent pas plus que les sunnites, les chiites ou les alaouites.

Les chrétiens ne soutiennent pas le régime, il faut casser cette idée. Ils ne le soutiennent pas plus que les sunnites, les chiites ou les alaouites. Mais à l’inverse, si tout le monde détestait le régime, cela serait fini depuis longtemps. Les chrétiens ont peur des lendemains, surtout après l’exemple irakien, ils ont vu défiler dans leur pays des centaines de milliers de réfugiés chacun avec des histoires horribles. Ils ont peur de l’avenir, peur d’un État islamique, c’est certain. Les chrétiens voient les choses différemment, ils pensent en termes de sécularisme et d’égalité. Comme vous le savez l’idée de « charia » chrétienne n’existe pas. Les Évangiles ne sont pas un code civil mais un support de réflexion. Les femmes aspirent aussi au respect de leurs libertés, liberté d’apparence et liberté de pensée.  

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Des chrétiens ont-ils pris les armes contre le régime ?

Je n’en sais rien. Je n’en ai pas entendu parler. Il faut aussi rappeler que dans l’autre camp, l’armée est une armée de conscription, toutes les communautés sont présentes dans l’armée, sunnites y compris.

Les chrétiens sont-ils la cible d’exactions les visant en tant que tels ?

Pour l’instant, aucun cas précis de persécutions majeures n’a été révélé. Sauf l’assassinat d’un prêtre qui cherchait à négocier la libération d’otages chrétiens. Ce genre d’actes risquent de se développer. Ils ont peur aussi des attentats contre les églises. Il est certain qu’une frange fasciste de la rébellion va leur chercher des noises. 

« Les alaouites dans la tombe, les chrétiens à Beyrouth », ce slogan a-t-il été prononcé dans les manifestations pacifiques ?

Il faut se méfier de ce genre de propos. Les chrétiens à Damas et à Alep, oui ! À Beyrouth ils y sont déjà, les chrétiens du Liban et de Syrie sont par essence très proche. Je n’aime pas les slogans, ni les raccourcis politiques. L’histoire et le débat géopolitique méritent mieux. Nous parlons de milliers de gens et de familles qui habitent ces terres depuis des siècles, la guerre actuelle passera un jour et eux resteront. La foi des montagnes et des moines du désert est plus forte que les évènements. Encore une fois, les chrétiens appellent constamment à la paix et à l’arrêt des combats. Les images montrent que le pays est déjà bien abîmé…   

La France doit montrer son soutien et son intérêt, mais en étant moins partisane. La caricature des médias est insupportable.

La mission historique de la France, de défense des chrétiens d’Orient, a-t-elle toujours une influence sur sa diplomatie ?

La France doit montrer son soutien et son intérêt, mais en étant moins partisane. La caricature des médias est insupportable. Nous ne savons rien en fait de ce qui se passe. Que ceux qui appellent à la guerre montrent la voie et prennent les armes eux-mêmes ? Pourquoi pas, cela aurait une certaine allure… En ont-ils le courage ? Mais là, confortablement installé à Paris et appeler à ajouter de la guerre à la guerre, c’est irresponsable.

En dernier recours, une alliance alaouite-chrétienne dans les zones côtières serait-elle possible ?

Non, c’est du fantasme politique.

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Propos recueillis par Laurent de Saint Périer

Lire aussi "Les chrétiens entre le marteau et l’enclume", dans J.A. n° 2705, en kiosques du 11 au 17 novembre.
 

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