Tunisie – Selim Ben Abdesselem : « Le débat sur le contenu de la Constitution doit démarrer »

À Tunis, les rues étaient pavoisées pour marquer l’anniversaire des premières élections libres qu’a connu le pays, il y a exactement un an. Mais le cœur n’y était pas : trop de promesses, trop d’incertitudes et une montée de la violence politique qui sèment le doute quant aux avancées de la démocratie. Selim Ben Abdesselem, député de l’Assemblée nationale constituante, ancien élu d’Ettakatol aujourd’hui indépendant, revient sur les enjeux de la transition.

Publié le 23 octobre 2012 Lecture : 4 minutes.

Jeune Afrique: Selon certains opposants comme Beji Caïd Essebsi, le 23 octobre marque la fin de la légitimité de l’ANC, qui avait un an pour rédiger une nouvelle Constitution. En attendant les prochaines élections, qui devraient avoir lieu le 23 juin 2013, comment cette « transition » dans la transition pourrait se dérouler ?

Sélim Ben Abdesselem (en photo ci-contre) : Avec une scène politique aussi confuse il est bien difficile de se prononcer. Ce qui est certain et essentiel, c’est que le débat sur le contenu de la Constitution doit démarrer. Mais il est tout aussi sûr que fixer au 23 juin la tenue d’élections législatives et présidentielle est aussi intenable qu’irréaliste. Proposer cette date est en totale contradiction avec le fait que l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) a pour mission de fixer la date des élections.

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Quelles sont les chances d’un gouvernement d’union nationale ?

L’élargissement du gouvernement nécessite un dialogue national. Or ce dernier semble mal parti puisque la majorité refuse de reconnaître et prendre en compte des initiatives comme celle de la centrale syndicale de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) et lui refuse toute légitimité alors même que sa légitimité dans la défense des droits des travailleurs est historique.

La stratégie pour torpiller initiative de l’UGTT n’est  pas bonne pour dialogue social. Le patronat ne s’y est pas trompé et a instauré un dialogue avec l’UGTT. Cette prise de responsabilité a permis d’éviter une impasse et le blocage de l’activité économique. Le gouvernement, dont le bilan n’est pas totalement négatif, tient les clefs des réformes et du Parlement. Il n’y a donc pas de cadre où tout le monde ne puisse se retrouver. Le gouvernement actuel semble fonctionner par à coups et a du mal à dégager des résultats sur des problèmes essentiels comme la résorption du chômage.

Où en est l’élaboration de la Constitution ? Quelles en sont les prochaines échéances ?

Il serait réaliste de tenir les élections à l’automne prochain, d’autant que les activités parlementaires doivent être suspendues lors de la campagne électorale pour éviter toute situation partisane.

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En tout, 171 articles sont proposés par les six commissions, auxquels il faut encore ajouter les articles additionnels émanant des élus. Tous devront être débattus et amendés. Il faut un minimum de deux mois pour achever cette lecture et amorcer une deuxième lecture, sachant que l’organisation des pouvoirs publics prévoit un mois de battement entre ces deux séquences, pour négocier les points en suspens afin d’obtenir une majorité des deux tiers permettant de valider la Constitution.

Entre temps, l’Assemblée aura également à discuter la loi de finances, qui doit être votée au plus tard le 31 décembre. Tenir ce délai est important pour la crédibilité du pays et éviter de le pénaliser en payant plus cher notre endettement international. Ce processus doit être également complété par un ensemble de lois à préparer : la loi électorale législative et municipale, éventuellement régionale si on procède à un redécoupage des circonscriptions ; une loi pour une instance indépendante de la justice ; une loi sur la Cour constitutionnelle ; et, bien sûr, la réactivation de l’Isie. En considérant toutes ces étapes, il serait réaliste de tenir les élections à l’automne prochain d’autant que lors de la campagne électorale, les activités parlementaires doivent être suspendues pour éviter toute situation partisane.

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Quels sont les enjeux auxquels la Tunisie est confrontée dans l’immédiat ?

Outre de ce qui relève de l’ANC, le gouvernement doit jouer son rôle en matière socio-économique ; il doit mener des réformes en matière de développement régional et de sécurité mais aussi engager une lutte contre le chômage et la cherté de la vie. Il est évident que les citoyens souffrent de l’inflation alors qu’il n’y pas de pénurie de production. Le point le plus sensible est celui de la situation sécuritaire. Les parlementaires sont complètement marginalisés sur cette question alors que l’échec du gouvernement en la matière est édifiant. Enfin, il faut très vite que le ministère de l’Intérieur définisse ses priorités pour lutter contre la violence et ne perde pas son temps à débusquer des couples dans les hôtels. Il est évident que le dispositif n’est pas à la hauteur, mais est-ce un problème de compétences, de moyens ou de volonté politique ?

Le gouvernement doit prendre ses responsabilités et reconnaître son incapacité en matière sécuritaire.

Quels sont les principaux risques à éviter dans les prochains mois ?

Il s’agit de clarifier les intentions et les positions. Les vidéos de Rached Ghannouchi, en entretien avec des salafistes, dévoilent une intention de mainmise sur l’armée et la police. La contradiction avec les propos de Ali Laarayedh, ministre de l’Intérieur, est flagrante mais on persiste à ne pas poursuivre réellement des salafistes ayant commis des violences et à emprisonner, dans des conditions douteuses, des manifestants comme ceux de Sidi Bouzid. C’est effrayant et il y a lieu de se prémunir contre les dérives ; le gouvernement doit prendre ses responsabilités et reconnaître son incapacité en matière sécuritaire.

L’autre risque, c’est que le débat sur la Constitution aboutisse à un référendum ; si le non l’emporte, la Tunisie est dans une impasse. Il s’agit d’une question de confiance. Il faudrait éviter que l’on en vienne à se dire que la révolution n’a rien apporté. Les vrais défenseurs de la révolution sont ceux qui travaillent pour leur pays et non ceux, comme la Ligue de défense de la révolution, qui use de violence et la justifie au nom d’une idéologie politique.

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Propos recueillis à Tunis par Frida Dahmani

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